Pour le deuxième mardi consécutif, la marche des étudiants n’a pas eu lieu hier. Elle a été empêchée par la police. Un déploiement spectaculaire quadrillait hermétiquement la capitale dès les premières heures de la matinée, ce mardi.
De la place du 1er Mai à la place des Martyrs, un dispositif impressionnant a été, en effet, mis en place pour contrer toute velléité de protestation publique. Et ce que l’on pouvait remarquer d’emblée en traversant la rue Didouche Mourad, la place Audin, les abords de la Grande Poste ou encore l’avenue Ali Mellah, près de l’hôpital Mustapha, c’est le nombre effarant de véhicules bleus et d’engins de police mobilisés, dont même les fameux camions «moustache», les camions antiémeute.
L’armada mise en branle a été de loin plus importante que celle observée mardi dernier et même durant les vendredis du hirak. Selon la lecture de certains, le secret de ce déploiement massif est à attribuer plutôt à la crainte d’une nouvelle action des frondeurs de la Protection civile.
La muraille bleu marine donnait le sentiment de frayer au milieu d’un décor métallique. Et comme il fallait s’y attendre, la police ne s’est pas fait prier pour sévir contre les hirakistes des campus et leurs soutiens.
Les étudiants ont pourtant eu le réflexe d’éviter la place des Martyrs après l’accueil musclé qui y leur a été réservé le 27 avril dernier où tous les animateurs du hirak étudiant ainsi que nombre d’habitués de la marche du mardi ont été ramassés sans ménagement. Consigne a été ainsi donnée de ne pas se rendre à Sahate Echouhada, et de lancer la manif «quelque part depuis la rue Didouche-Mourad».
Les reporters et les photographes de presse arrivaient les uns après les autres aux abords de la place Audin et nous nous sommes retrouvés une bonne douzaine au moins à arpenter la rue Didouche de haut en bas et de bas en haut, histoire de ne pas rester au même endroit, le tout sous le regard perplexe, pour ne pas dire agacé, de la police.
A un moment donné, Khaled Drareni se joint à nous, à son tour, à quelques encablures du cinéma l’ABC. Il venait d’être contrôlé près du café Eddy. Il y avait avec lui le militant Sofiane Haddadji. Ce dernier sera embarqué.
Aux coups de midi, peut-être un peu avant, des éléments des forces antiémeute surgissent de leurs camions, arborant casques, gourdins et boucliers. Ils se tiennent prêts pour parer à tout mouvement suspect. Ils ne tarderont pas à passer à l’action, au niveau de la rue Victor Hugo. Les interpellations seront menées au pas de charge, ciblant étudiants et sympathisants du hirak estudiantin. Parmi les premières personnes arrêtées : l’étudiant Abdenour Aït Saïd qui subit un véritable harcèlement policier.
C’est un habitué de la «galoufa», le pauvre, lui qui est alpagué quasiment à chaque manif. Plusieurs autres manifestants potentiels subiront le même sort dans la foulée. D’autres hirakistes musardaient dans le secteur, venant aux nouvelles, se demandant s’il y avait un début de manif quelque part…
Tout le monde est un peu perdu, sur le qui-vive, désemparé. La résignation finit par l’emporter. Alger est comme en état de siège. Bleu nuit. «Il ne reste plus qu’à officialiser l’état d’urgence» commentera Me Badi dans un post sur Facebook. Tous les efforts vont se reporter sur la collecte des informations concernant les personnes arrêtées.
Les réseaux sociaux militants s’enflamment en égrenant les noms des camarades jetés dans les paniers à salade et dispatchés entre les commissariats. Les comptes amis alertent, s’émeuvent, s’indignent.
Des confrères diffusent des images volées, au compte-gouttes, comme cette photo vite partagée montrant un fourgon cellulaire embarquant des gens à tour de bras sur la rue Victor Hugo. «Un fourgon cellulaire plein à craquer de femmes démarre à l’instant aux cris de dawla madania (Etat civil)» poste Zoheir Aberkane vers 13h10. Lynda Abbou écrit de son côté : «Plusieurs interpellations à Didouche Mourad, hommes et femmes. La presse empêchée de filmer et de prendre des photos.»
A 14h25, Zaki Hannache, le défenseur des détenus d’opinion qui recense toutes les arrestations, fait le point sur les interpellations du jour : «Plusieurs interpellations opérées à la rue Didouche Mourad dans les rangs des étudiants et des citoyens.
Parmi eux : Amira Mellal, Ania Mokrane, Abdenour Aït Saïd, Farouk Cherikh, Lyès Kebouche, Abderahmane Boutankik, Sofiane Haddadji, Walid Moussaoui, Mehdi Batrouni, Aziz Chaïb, Delsi Sid Ahmed, Yanis Zaïdi, Anes Chelfat, Chahid Azizi, Bounaâma Boubekeur, Mehdi Mezouar.»
En milieu d’après-midi, une nouvelle sème l’émoi avec l’annonce de l’interpellation de… Zaki Hannache lui-même. Outre Zaki, une autre liste de militants circule. Le Comité national pour la libération des détenus alerte : «Arrestation de Imilli Imane Abdelli, Zaki Hannache, Lilia Tarakli, Mohamed Ben Aloune, Oussama Mezad, Oussama Mekhtiche et plusieurs autres personnes.»
Le CNLD a annoncé dans une autre publication, peu avant 17h, que 13 personnes parmi celles qui avaient été interpellées, ont été relâchées du commissariat de Bouchaoui.
Pour le deuxième mardi consécutif, la marche hebdomadaire des étudiants n’a pas eu lieu hier à Alger, ou plusieurs arrestations ont eu lieu à la place des Martyrs dès les premières heures de la matinée et qui se sont poursuivies jusqu’en début d’après-midi à proximité de la mosquée Errahma, située au cœur de la capitale. Des dizaines de personnes, entre étudiants et citoyens, ont été interpellées et embarquées dans des fourgons cellulaires, a-t-on constaté sur place.
Entamée d’ordinaire depuis la place des Martyrs, les étudiants ont décidé, cette fois-ci, de changer d’itinéraire en tentant de converger vers la rue Didouche-Mourad, choisie comme lieu de départ de leur 115e manifestation. Mais sur place, un dispositif policier impressionnant (véhicules, policiers antiémeute et agents en civil) a été mis en place, signe de la volonté des autorités d’étouffer cette manifestation.
Contraints, les étudiants se sont déployés dans les ruelles avoisinantes, dans un hypothétique espoir d’être soutenus par les citoyens. Mais en vain. Car, des figures connues parmi les citoyens soutenant les étudiants n’ont pas échappé à leur tour à la vague d’interpellations.
À l’approche de la prière du dohr, la police a accentué la pression autour de la mosquée Errahma, où certains étudiants ont battu en retraite, terrorisés à l’idée de se faire embarquer comme leurs camarades, dont des visages connus de la contestation estudiantine et qui ont déjà fait l’objet de nombreuses interpellations.
Contrairement à Alger et malgré leur nombre réduit, les étudiants ont été au rendez-vous, à Tizi Ouzou, soutenus par des citoyens, en battant le pavé sur le parcours traditionnel, du campus de Hasnaoua jusqu’à la place de l’Olivier, à l’autre bout de la ville.
Tout au long de l’itinéraire de la marche, les manifestants, qui ont brandi des portraits d’Abane Ramdane et de Lounès Matoub, ont repris les slogans habituels du Hirak dont notamment : “Système dégage” et “Dawla madania, machi 3askaria” (État civil et non militaire). Des pancartes sur lesquelles on pouvait lire “Pas de nouvelle Algérie sans Hirak”, “Libérez les détenus” et “Ulac l’vote ulac” (pas de vote), en référence au scrutin législatif du 12 juin prochain, ont été également brandies par les manifestants.
La marche s’est déroulée dans le calme, en présence d’un dispositif policier important. Ambiance similaire à Béjaïa où la 115e marche de la communauté universitaire n’a pas drainé beaucoup de monde.
Effet du Ramadhan, lassitude ou contraintes diverses, c’est la première fois depuis le début de la révolution populaire, enclenchée le 22 Février 2019, qu’une marche de la communauté universitaire de Béjaïa enregistre une faible, voire très faible mobilisation dans les rangs estudiantins et des enseignants.