« Je voudrais dire très nettement comment la loi de Séparation doit être appliquée au mieux… Quand nous aurons organisé l’enseignement de telle sorte qu’il soit soustrait à toute étroitesse en quelque sens qu’elle se puisse exercer, et que, suivant la belle parole de Proudhon, sur la tête de l’enfant viennent converger tous les rayons de l’esprit humain, de telle sorte qu’il puisse choisir entre les diverses directions d’esprit que la sympathie du maître lui aura suggérées, quand nous aurons institué une telle force d’assurance sociale contre les risques élémentaires de la vie, que la belle charité religieuse reste comme un luxe de tendresse et ne soit plus un moyen de domination, alors qui d’entre vous pourra redouter la pleine et libre affirmation de quelque croyance que ce soit ? »
Jean Jaurès, « Comment la loi de Séparation doit être appliquée… », Chambre des députés, le 13 novembre 1906
Ce 9 décembre 2021 est le jour anniversaire de la loi de séparation des églises et de l’État, au terme de laquelle la religion était considérée par la République comme une affaire d’ordre privé, alors que précédemment nous étions sous des régimes concordataires issus du bonapartisme napoléonien. La religion dans l’État c’est le financement public du culte catholique et la France « fille aînée de l’Église » qui ne reconnaît pas la liberté de culte.
La République bourgeoise en 1905, dans la tradition de sa propre révolution de 1789, proclame la liberté absolue de conscience, dont cette liberté de culte fait partie, et précise dans son article 2 que « la République ne salarie et ne subventionne aucun culte ». La République est indifférente aux choix d’ordre privé, elle ne connaît que des citoyens, à égalité de droits et de devoirs. Conséquemment elle considère le pape comme le représentant d’un culte et non comme un chef d’état. En fait la République bourgeoise dès la grande boucherie de 1914-1918 commencera elle-même à détricoter sa propre législation laïque. Cela commencera par les ministres des cultes aux armées. Il faut une instance « spirituelle » qui bénisse les canons et qui écrira au frontispice de l’ossuaire de Douaumont « béni soit le Seigneur Dieu des armées ». En face sur les ceinturons des soldats allemand c’était « Gott mit uns ! » (Dieu est avec nous) Il fallait que les prolétaires allemands acceptent de crever la peau des prolétaires français (et réciproquement), pour cela rien de mieux que d’appeler la religion au secours. C’est le régime fasciste de Mussolini qui par les accords du Latran, signés le 11 février 1929, règle la « question romaine » par la reconnaissance mutuelle de l’État du Vatican et de l’État italien. La France républicaine dès les lendemains de la guerre rétablit en 1921 sa légation diplomatique avec le Vatican : c’est la même chose mais en plus soft !
Depuis les attaques contre la législation laïque n’ont jamais cessé : la bourgeoisie a honte de sa propre révolution ! Avec le régime de Macron, au crépuscule de cette Vème République bonapartiste, on atteint des sommets inégalés.
Rappelons récemment le rapport du haut fonctionnaire clérical Sauvé qui propose d’indemniser sur fonds publics les victimes d’agressions sexuelles commises sur des mineurs par des membres du clergé ou des personnels laïcs employés par la hiérarchie catholique. Celle-ci ayant couvert ces délits graves durant des décennies, l’enquête remontant à 1950, il serait normal qu’elle assumât ses responsabilités vis-à-vis de la loi. Certes, mais début 2021 le gouvernement Macron a proposé de constituer un fond d’indemnisation pour les victimes d’inceste et de violences sexuelles, comme par hasard le rapport Sauvé sera rendu public fin septembre. Macron exonère l’Église de ses responsabilités et envisage de financer sur fonds publics les victimes.
Dans les dispositions résultant du régime de séparation, l’État fait obligation aux communautés religieuses de constituer des associations cultuelles. Il ne faut pas confondre avec les associations culturelles qui sont en droit d’obtenir des subventions publiques, pour autant que l’article 1 de leur raison sociale stipule qu’elles sont ouvertes à tous les citoyens. Ces associations cultuelles ont pour but exclusif l’exercice d’un culte. Elles ne peuvent se livrer à des affaires commerciales, immobilières, spéculatives…
Or le régime de Pétain promulgue le jour de Noël 1942 un décret modifiant l’article 19 de la loi de 1905 et autorise les associations cultuelles à recevoir sans impôts à payer à l’État les produits des dons et legs. A partir de là, l’Église catholique faisait gérer les biens acquis par des SCI (Sociétés Civiles Immobilières) ou toute autres associations non-cultuelles. L’association devient propriétaire du bien sans payer de droits à la République et la propriété n’apparaît pas dans les comptes des diocèses. Sauf qu’on est en pleine illégalité depuis 1942.
Arrive Macron, qui a salué « ce grand soldat » qu’était le collabo Pétain et qui veut « réparer le lien abîmé » entre l’Église et l’État. « Le lien abîmé » c’est bien sûr la législation laïque de la France, dont les principes avaient été posés par la Révolution bourgeoise, appliqués dix ans après la Commune de Paris, par les lois organiques sur l’instruction publique et confirmés par une loi de séparation en 1905. Ce n’est pas la bourgeoisie républicaine seule qui les a édifiées : le mouvement ouvrier y a joué un rôle central. Or la loi de séparation est modifiée en 2018, soit dans la foulée de l’élection de 2017 et l’article 71 de la loi du 24 août 2018, autorise les associations cultuelles à « posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit ». Durant 79 ans, l’Église a fait des affaires de manière parfaitement illégale. Aujourd’hui ce gouvernement finit le travail du collabo Pétain, ami de Hitler et modifie le statut des associations cultuelles. Ceux qui avaient rédigé la loi, soutenus et amendés par le mouvement ouvrier et en particulier Jean Jaurès, avaient pris la précaution de limiter le rôle de ces associations à la question qui relève du strict exercice de la liberté de culte ; elles ne pouvaient avoir le statut des associations privées fondées sur la loi de 1901. L’arnaque maffieuse des conseilleurs de l’Église est là !
La Vème République bonapartiste c’est encore et toujours la réconciliation du trône et de l’autel : Macron en est aujourd’hui le fruit le plus pourri. Sans vergogne, lui et les néo-libéraux ils vont jusqu’au bout ! Pour ceux et celles qui défendent les conquêtes laïques, c’est le moment de reposer la question de la légitimité de cette constitution, fondée sur les pouvoirs exorbitants donnés à un homme, élu au suffrage universel direct. Le refus des institutions du « coup d’État permanent » a été aux fondements de la gauche historique. Nous continuons ce combat. Nous ne l’avons jamais renié ! Il est à l’ordre du jour.
RD, le 09-12-2021.
PS : Pour ceux qui veulent plus de précisions sur l’immense richesse constituée illégalement à l’échelle seulement du diocèse de Paris, à partir de l’enquête faite par la cellule d’investigation de Radio-France qui a réalisé une enquête très précise, on peut lire cet article sur le site de Respublica : « Comment le président macron a légalisé l’immense richesse illégale de l’église »
Cet article a paru sur le site de nos amis de l’Union des familles laïques (UFAL) et reprend pour partie les informations de la cellule d’investigation de Radio-France qui a réalisé une véritable enquête journalistique… Ce qui est rare par les temps qui courent. Cette enquête, un travail de fourmi sur les finances du diocèse parisien, a permis de découvrir uniquement une partie de son trésor, soit 700 millions d’euros. Cette modique somme ne représente qu’une fraction de la fortune de l’Église, et seulement pour Paris intra-muros !
Qu’en est-il de l’étendue des avoirs de l’Église de France sur l’ensemble du territoire national et des TOM-DOM ? Difficile à chiffrer, des milliards d’euros c’est certain, et peut-être des dizaines de milliards, qui sait !
Le sujet est essentiel car l’actualité catholique porte évidemment sur l’indemnisation des victimes de viols et d’agressions sexuelles dont le rapport Sauvé a révélé le « caractère systémique » tout le long du dernier demi-siècle.
Un fonds d’indemnisation va être mis en place pour indemniser les enfants victimes. Mais comment va-t-il être abondé ?
Espérons que l’Église de France, assise sur sa montagne d’or, aura l’intelligence et l’immense sagesse d’influencer positivement les fondations propriétaires des biens immobiliers dissimulés pour qu’elles se montrent d’une générosité sans borne… Amen.
Une enquête de la cellule investigation de Radio-France a révélé, le 26 novembre 2021, que le diocèse de Paris possédait plus de 700 millions d’euros de patrimoine immobilier, non-inscrits dans ses comptes, par l’intermédiaire d’une série de SCI, et en toute illégalité… du moins jusqu’à la loi dite « séparatisme » du 24 août 2021 !
La fourchette haute de l’estimation étant sans doute proche du milliard d’euros. Ainsi l’ensemble du patrimoine immobilier détenu par l’Eglise en France pourrait représenter plusieurs milliards d’euros. Voilà qui donne la mesure du cynisme de M. de Moulins-Beaufort, président de la conférence épiscopale des évêques, lorsqu’il gémissait, à l’idée de devoir indemniser les centaines de milliers de victimes des pédophiles dans l’Eglise : « Toutes nos ressources, ce sont des dons des fidèles. Nous n’avons aucune autre ressource. (…) L’immobilier ne nous rapporte pas, il nous coûte. (…) Nous n’avons pas d’argent caché dans des caves » (France-Info, 6 octobre 2021).
L’épiscopat a, depuis, admis devoir assumer la charge de l’indemnisation sur les seules ressources ecclésiastiques et un éventuel emprunt. Trop tard, car le scandale éclate aujourd’hui : il y avait plein « d’argent caché » dans le patrimoine immobilier de l’Eglise.
L’enquête parisienne de Radio-France révèle un système étonnamment simpliste de dissimulation du patrimoine : plus de 80 SCI, dirigées par « l’association immobilière du diocèse de Paris ». C’est si transparent qu’on se demande bien comment le fisc et l’administration ont pu ne pas voir : sauf à fermer les yeux ! Toujours selon la même source, dans les années 90 il y aurait eu pas moins de 600 structures juridiques différentes dans ce seul diocèse, dont « un grand nombre détenait un patrimoine immobilier, et pour certaines, un patrimoine financier ». Autrement dit, à la fois une externalisation et une atomisation de la richesse de l’Eglise. Pour mettre à gauche, il faut que la main droite ignore…
Or il existe 103 diocèses (ou archidiocèses) en France métropolitaine, plus la prélature de la Mission de France, et le diocèse aux armées, et 8 diocèses outre-mer. Leurs ressources et leurs patrimoines varient forcément, mais la dissimulation financière et l’atomisation juridique sont multipliées d’autant.
Expliquons l’entourloupe. La loi du 9 décembre 1905, en son art. 19, dispose que les associations cultuelles « devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte ». Ce qui excluait toute autre activité, notamment commerciale, lucrative, médiatique, etc. Mais Dieu y a pourvu…
En effet, les « associations diocésaines », autorisées en 1924 par le Vatican après 18 ans d’interdiction aux catholiques, ont été considérés par le Conseil d’État(1) comme conformes à la définition des associations cultuelles. Avis curieusement complaisant, puisque leur objet n’inclut plus l’exercice du culte, mais se voit généreusement élargi à ses « frais et à [son] entretien ». Entorse à « l’exclusivité » cultuelle imposée par la loi de 1905 : les diocésaines peuvent ainsi se consacrer pleinement à la collecte des ressources, du moment qu’elles sont qualifiées « catholiques ». Une fois de plus, l’Église a roulé la République.
Deuxième « divine surprise » : la « loi » Pétain du 25 décembre 1942 (Noël pour l’Église !) modifiant l’art. 19 de la loi de 1905 a doté les associations cultuelles de la capacité à recevoir à titre gratuit les produits de dons et legs « [destinés] à l’accomplissement de leur objet ou [grevés] de charges pieuses ou cultuelles ». Pour des raisons historiques évidentes, c’est à l’Église catholique, traditionnelle bénéficiaire de beaucoup de donations diverses, que profitait la mesure. On comprend le soutien de l’épiscopat au régime de Vichy.
Cependant, la capacité à recevoir des biens immobiliers par dons et legs restait limitée par l’exclusivité de l’objet cultuel des associations de la loi de 1905. En effet, ces biens sont rarement en rapport avec le culte, et dans beaucoup de cas lucratifs voire luxueux : la stricte application de la loi aurait conduit à les vendre, donc à renoncer à une source de revenus quasi- inépuisable.
D’où un ingénieux système de contournement de la loi, consistant à « passer par une SCI ou une autre association » contrôlée, qui devient propriétaire de l’immeuble, lequel n’apparaît donc pas dans les comptes du diocèse. Montages par sociétés écrans dignes des escrocs les plus habiles, et qui dure depuis 79 ans (Pétain), sinon 116 (1905) ! Ce n’est donc pas pécher que d’arnaquer la République…
Questions naïves au Gouvernement : 1° ces transactions donnaient-elles lieu à perception de droits de mutation ? 2° Les immeubles afférents acquittaient-ils bien l’ensemble des impôts fonciers (dont sont exemptés les biens dévolus au culte) ?
Les Gouvernements successifs de la République, qui rencontrent régulièrement l’épiscopat depuis 2002 (Jospin), étaient tous au courant de cette entourloupe cléricale. Mais l’Église craignait à juste titre l’insécurité juridique et fiscale de ses combines. C’est donc d’un commun accord que notre Président, si proche de l’épiscopat, est convenu avec l’Église de légaliser l’illégalité. Il suffisait de modifier la loi de 1905 pour autoriser les associations cultuelles à conserver et exploiter les immeubles reçus à titre gratuit : commerces, logements, hôtels particuliers, etc.
La première tentative eut lieu dès le début du quinquennat, avec l’art. 38 du projet de loi « pour un État au service d’une société de confiance » : l’UFAL l’avait alors dénoncée, comme plusieurs associations laïques. La commission des lois de l’Assemblée Nationale l’avait renvoyée à plus tard.
La deuxième fois, en fin de quinquennat, fut la bonne. Malgré les avertissements de l’UFAL et des associations laïques, la loi « confortant le respect des principes de la République » fut l’occasion pour le Gouvernement de tripatouiller sans vergogne la loi de séparation : un nouvel art. 19-2 (art. 71 de la loi du 24 août 2018) autorise dorénavant les associations cultuelles notamment à « posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit ». Le tour est joué : un immense patrimoine lucratif sort enfin de « l’économie grise » ! Le Président Macron a ainsi parachevé l’œuvre de Pétain. L’Église catholique reste un business immobilier juteux : l’enquête citée de Radio-France montre que ce n’est pas une invention de bouffeurs de curés.
Dans l’affaire, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin se sera couvert de gloire, en affirmant contre toute évidence que la nouvelle disposition ne profitait pas spécialement à l’Église catholique, et en imaginant, toute honte bue, que de riches donateurs pourraient à l’avenir faire don à une association cultuelle musulmane de biens immobiliers, qui,… etc. Comparé à des siècles d’acquis immobiliers de l’Église, toujours accrus par les donations, c’est ce qui s’appelle se moquer du monde –et en l’occurrence mentir au Parlement.
Décidément, certains cultes sont « plus égaux que les autres » pour le pouvoir actuel. La loi du 24 août 2021 aura ainsi « conforté l’Église catholique » en légalisant le riche patrimoine immobilier lucratif qu’elle est seule à posséder.
Robert Duguet