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Éric Zemmour, « Juif antisémite » ?

Selon Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, Éric Zemmour est un homme politique d’extrême droite qui, en jouant sur son statut de Juif, donne à l’extrême droite, traditionnellement antisémite, un vernis de respectabilité.

Éric Zemmour est-il un « antisémite juif » ? Une question souvent soulevée ces derniers temps, mais à laquelle il n’est pas facile de répondre. La figure paradoxale du Juif en tant qu’ennemi des Juifs peut dérouter l’observateur hâtif. Fantaisie, fiction, oxymore ? Pas du tout. La figure de l’ennemi juif des Juifs hante la mémoire juive, et l’histoire juive offre de nombreux exemples. Mais le définir n’est pas une tâche facile.

Figures de traîtres juifs

Il y a la personne qui remet en question les fondements du judaïsme et sa doctrine, que la tradition rabbinique exclut des bienfaits du monde à venir. Il y a le lecteur de livres hérétiques. La personne qui ose prononcer l’ineffable Nom de Dieu. L’informateur. La personne qui se sépare de la communauté. Le pécheur qui incite les autres à pécher. L’apologiste. La personne qui transgresse les frontières de la communauté, se range du côté de l’adversaire et du persécuteur, et porte un coup d’autant plus grave que la communauté est minoritaire, dispersée et donc fragile.

De toute évidence, Éric Zemmour n’entre pas dans cette catégorie. Il se dit juif – un juif de peu de foi, semble-t-il, comme beaucoup d’autres. Du judaïsme en tant que religion ou culture, des Juifs en tant que peuple et de leur histoire, il ne dit rien d’intéressant ou de nouveau, car il n’en sait pas grand-chose et ne peut que répéter quelques clichés périmés et simplistes.

Si l’histoire contemporaine des Juifs a été pour beaucoup une histoire d’intégration, de sécularisation et même, pour certains, d’assimilation, pour d’autres c’était une histoire d’adhésion aux grandes utopies révolutionnaires, et pour d’autres encore le moment de l’émergence de l’idée nationale juive, dont le sionisme était une forme particulière. Mais même dans un pays d’intégration, en particulier en France, les Juifs n’étaient pas tenus de renoncer à leur identité.

Intégration et identité

Le livre de Pierre Birnbaum, Les Fous de la République, retrace les itinéraires des « Juifs d’État » de la IIIe République, hauts fonctionnaires qui ont loyalement servi la France sans renier leur foi. Peu d’entre eux ont francisé leurs noms, et la conversion était rare. Lorsque Zemmour exhorte les musulmans à s’assimiler pleinement et à changer leurs prénoms, le modèle juif auquel il fait appel est fictif. Le « israélite » du XIXe siècle (l’étiquette adoptée à l’époque même par les Juifs eux-mêmes, le mot « Juif » étant historiquement chargé de trop de connotations négatives) que Zemmour imagine et appelle nos concitoyens musulmans à imiter n’existe plus.

La France était le pays où les Juifs, après leur émancipation en 1790-91, ont pu être des citoyens à part entière, s’élever socialement et occuper des postes élevés dans l’appareil d’État sans avoir à changer de religion. Les Juifs ne sont devenus des citoyens Français qu’à la condition qu’ils renoncent à tout statut « communautaire ».

Zemmour en fait trop, cependant, lorsqu’il répète hors contexte la célèbre formule que Clermont-Tonnerre a proposée à l’Assemblée constituante : « Nous devons tout refuser aux Juifs en tant que nation dans le sens d’un corps constitué et tout accorder aux Juifs en tant qu’individus… » Les historiens sont divisés quant au sens à donner à cette déclaration, considérée par beaucoup comme une simple fleur oratoire. Mais Zemmour s’en approprie pour justifier son injonction assimilationniste et lui trouver un précédent historique.

L’assimilation que Zemmour exige des Arabes musulmans est une chimère, et d’autant plus dénuée de sens aujourd’hui que les revendications identitaires s’expriment de manière de plus en plus affirmée dans notre société – parmi les Juifs aussi, en particulier depuis la guerre des Six Jours et l’arrivée en France des Juifs d’Afrique du Nord. On oublie trop souvent que l’intégration des Juifs en France a pris pas moins d’un siècle ; celle des musulmans est toujours en cours, et les portes de la République doivent encore leur être pleinement ouvertes.

Un cas de « haine de soi juive » ?

La dimension socio-psychologique de « l’antisémitisme » juif a été mise en évidence au début des années 1930 par l’historien culturel et philosophe allemand Theodor Lessing, auteur d’un livre intitulé Jewish Self-Hate. Le livre examine six cas individuels, dont celui d’Otto Weininger (1880-1903), un Juif viennois qui s’est converti au protestantisme et s’est finalement suicidé. À la fin du siècle à Vienne, les Juifs se sentaient partie intégrante de la société environnante, mais cette société, minée par l’antisémitisme, ne les percevait pas de cette manière et diffusait une image très négative d’eux. La haine de soi, réaction pathologique liée à une situation sociale autant qu’à un profil psychologique, est alors principalement l’intériorisation de ce rejet de l’autre.

La France en 2022, cependant, est un contexte complètement différent de celui de la Vienne de la fin du siècle, sans parler de celui d’une Europe dominée par les nazis, où les membres des « conseils juifs » créés par les nazis pourraient être tentés de travailler avec l’ennemi pour tenter de sauver ce qu’ils pensaient pouvoir être sauvé, mais seraient plus tard accusés d’avoir été rien de plus que des « collaborateurs » juifs à la solde des exterminateurs.

S’il ne semble guère tenté par les controverses religieuses, et si malgré son goût proclamé (et tactique) pour les églises, les crèches et les messes de minuit, Zemmour ne semble jamais avoir sérieusement envisagé de se convertir lui-même au christianisme, encore moins avoir nourri le projet de convaincre ses coreligionnaires de faire de même, il ne semble pas non plus enclin à la haine de soi juive. Il se dit non-sioniste, mais il y a d’autres types de Juifs. Et il se présente publiquement, sans honte, comme « un petit juif berbère de l’autre côté de la Méditerranée » (réunion publique à Villepinte, 5 décembre 2021).

Zemmour a eu tort d’appeler son parti « Reconquête ! » en référence à la reconquista chrétienne de l’Espagne, qui a réussi en 1492 non seulement à vider la péninsule ibérique de ses musulmans, mais aussi de ses juifs. Sinon, Éric Zemmour n’est que la réincarnation d’un israélite dépassé, en contradiction avec une identité juive dominante aujourd’hui qui ne voit aucune contradiction entre la fidélité au judaïsme, l’attachement à Israël et la loyauté à la France et à la République.

Lorsque Haim Korsia, grand rabbin de France, a décrit Zemmour comme un « antisémite », il avait une raison très claire à cela. En tentant de réhabiliter Pétain et de falsifier l’histoire des Juifs Français pendant les années sombres, allant même jusqu’à jeter le doute sur l’innocence du capitaine Dreyfus, Zemmour sape ce qui est le plus sensible dans la « mémoire » juive contemporaine. En fait, plutôt qu’un « Juif antisémite », Zemmour est un politicien d’extrême droite qui se trouve être juif et qui, en jouant sur cette qualité, donne à l’extrême droite traditionnellement antisémite et non moins raciste un vernis de respectabilité. Il a laissé libre cours à la parole et a rendu les pires choses honorables – si un Juif dit cela, alors vous pouvez dire n’importe quoi.

À cet égard, Zemmour est un danger pour la cohésion nationale, pour le public et pour les Juifs.

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Cette entrée a été publiée le 19 avril 2022 par dans ANTIFASCISME, ANTISEMITISME, ANTISIONISME, ETAT POLICIER, FRANCE, PRESIDENTIELLE 2022.
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