Alors que la Direction CFDT admet depuis au moins 2010 que la durée de cotisation peut évoluer en fonction de la progression de l’espérance de vie, les 1.600 délégués de la centrale réunis en congrès à Lyon ont supprimé, contre l’avis de la direction, toute référence à ce sujet dans la résolution qui fixe la ligne pour les quatre ans à venir.
Les militants de la CFDT viennent d’adresser une énergique mise en garde à leur numéro un, Laurent Berger, et à la garde rapprochée de celui-ci, sur la question des retraites. Réunis en congrès à Lyon depuis lundi 13 juin, les syndicats de la centrale cédétiste ont obtenu, jeudi, contre l’avis de leurs instances confédérales, que la feuille de route de leur organisation soit réécrite, car ils la jugeaient ambiguë : à leurs yeux, ce texte – appelé « résolution générale » en interne – pouvait laisser penser qu’ils étaient prêts à accepter un allongement de la durée de cotisation pour toucher une pension à taux plein. Ils ont voulu fermer la porte à cette hypothèse en défendant un amendement qui a été adopté par un peu plus de 67 % des voix. Une majorité très nette, qui montre que de nombreux adhérents attendent un positionnement très ferme de leurs leaders face au projet d’Emmanuel Macron de faire « travailler plus longtemps » la population.
Le débat s’est focalisé sur quelques mots de la résolution générale qui réaffirment que la CFDT admet un accroissement de la durée de cotisation pour répondre à l’augmentation de l’espérance de vie. De la part des cédétistes, il s’agit d’une position constante depuis au moins une dizaine d’années. Elle avait d’ailleurs amené la confédération à donner son imprimatur à la « loi Touraine » de janvier 2014, qui fait graduellement passer à 172 trimestres la durée d’affiliation requise pour percevoir une pension à taux plein.
Mais la formulation retenue dans la résolution a été jugée équivoque, notamment par le syndicat Interco-CFDT de la Somme. Elle « pourrait alimenter une réforme injuste, surtout en ce moment », comme l’a précisé, jeudi après-midi, son secrétaire général, Arnaud Espel, dont l’intervention a été très applaudie par l’assistance. « Est-ce bien à nous et, surtout, est-ce bien le moment de revenir sur les paramètres ? », s’est-il interrogé. D’autres composantes de la centrale avaient exprimé les mêmes appréhensions, à la veille de l’ouverture du congrès.
« En phase avec l’opinion »
Frédéric Sève, secrétaire national chargé du dossier, a essayé de dissiper ces craintes, en rappelant que la phrase incriminée ne faisait que « reprendre » une doctrine forgée il y a longtemps. « Elle est toujours d’actualité, elle nous identifie, elle est cohérente avec nos valeurs, elle est en phase aussi avec l’opinion, a-t-il plaidé. Nous n’avons pas besoin d’en changer pour contrer des projets du gouvernement, bien au contraire. »
La veille, M. Berger avait mis les points sur les « i » encore plus clairement. « Nous n’avons pas (…) l’intention de valider un allongement de la durée de cotisation au-delà de ce qui est prévu par la loi Touraine, qui prendra son plein effet en 2034 », avait martelé le secrétaire général de la confédération. Et de lancer à la salle : « Mes amis, pas d’alerte inutile, pas de mauvais débats entre nous, pas de peur sans fondement. »
Mais ces déclarations, qui se voulaient rassurantes, n’ont pas suffi. Jeudi après-midi, la prise de parole de M. Sève a été ponctuée par des applaudissements et par des huées – ce qui n’est pas habituel, à un congrès de la CFDT. La proclamation des résultats a donné lieu à des cris de joie et à des sifflets, comme pour matérialiser la ligne de clivage qui traversait l’amphithéâtre de la Cité internationale de Lyon.
Sollicité par Le Monde, M. Espel tient à dire qu’il n’est « pas un frondeur ». « Je suis très CFDT », enchaîne-t-il, en confiant qu’il est attaché « à travailler démocratiquement les textes ». « Le résultat du vote montre bien l’inquiétude des représentants CFDT des salariés, qui ont peur de ce qui les attende, précise-t-il. Ce n’est pas un rejet de la CFDT. On n’est pas dans une confrontation ni dans une crise ouverte. »
« Je ne pensais pas que la sensibilité sur le sujet des retraites était si forte », a reconnu M. Sève, lors d’une conférence de presse, jeudi en fin d’après-midi. Le secrétaire national y a vu le signe d’une « défiance à l’égard de nos interlocuteurs », c’est-à-dire le pouvoir exécutif. Le vote traduit aussi, selon lui, le besoin de « justice sociale », le désir de se doter d’un système de retraite « moins anxiogène, moins punitif » et le rejet de nouvelles mesures d’âge, qui imposeraient aux assurés de rester en activité plus longtemps. En revanche, les débats n’ont pas mis en évidence une remise en cause de la « loi Touraine », a estimé M. Sève.
Bertrand Bissuel (Lyon, envoyé spécial Le Monde)