Gabriel Attal a annoncé lundi la répartition des crédits budgétaires pour l’année prochaine, après une période marquée par le Covid. Si la formation et l’emploi sont formellement favorisés, l’écologie reste en retrait des priorités de l’exécutif.
Cet envoi aux ministères des «lettres de cadrage», qui préfigure la présentation du projet de loi de finances fin septembre, a le mérite de traduire en chiffres les priorités de l’exécutif.
Et à écouter le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, c’est une sorte de tournée générale qui s’annoncerait. «Il y aura trois blocs prioritaires, correspondant aux trois moteurs essentiels du quinquennat : la formation et l’emploi, le pôle régalien et la transition écologique», assure le ministre dans une interview aux Echos.
Le budget de l’Etat doit s’élever au total à 339 milliards d’euros l’an prochain, en hausse de 14 milliards en valeur par rapport à 2022. «Ce budget 2023, c’est le carburant que nous mettons dans le moteur du pays pour atteindre le plein-emploi et protéger les Français», insiste Attal. Le ton pour la rentrée est donné : contrairement à 2017, quand Macron avait hérité, lors de l’examen de son premier budget, de l’étiquette de «président des riches» avec sa réforme fiscale, Attal – issu du Parti socialiste – aura la charge d’imprimer une marque plus «sociale» sur les débuts de ce second quinquennat.
LA « MISSION SÉCURITÉS » EN HAUSSE !
Mais la communication bien léchée de l’ancien porte-parole du gouvernement est à relativiser : il y a toujours des priorités plus prioritaires que les autres. La transition écologique sera ainsi dotée de 3,3 milliards d’euros supplémentaires en 2023, mais ce chiffre apparemment généreux est obtenu grâce à l’addition – malicieuse – des grandes missions écologie (+ 1,9 milliard), agriculture (+ 0,5 milliard) et cohésion des territoires (+ 0,9 milliard). Surtout, il est à comparer à d’autres augmentations, notamment celle réservée à la défense, substantielle, avec 3 milliards d’euros de plus.
Dans un contexte de grande instabilité géopolitique, liée notamment à la guerre en Ukraine, cette décision ne devrait pas déplaire à l’institution militaire, dont certains membres s’étaient montrés très critiques à l’égard des choix budgétaires d’Emmanuel Macron à sa prise de pouvoir en 2017. Le reste de l’effort bénéficiant au pôle régalien est davantage capté par la mission sécurités, c’est-à-dire la police (+ 1,4 milliard), que par la mission justice (+ 0,7 milliard) et encore moins par les affaires étrangères (200 millions). La conséquence des décisions du Beauvau de la sécurité, dont l’un des objectifs est le renforcement de la présence des forces de l’ordre sur le terrain.
La plus grosse part des crédits supplémentaires est cependant fléchée vers un autre bloc constitué de l’éducation, du travail et des solidarités, que le ministre des Comptes publics associe, dans un effet d’annonce, bien que ces missions n’aient pas grand-chose à voir les unes avec les autres. Il parvient ainsi à une hausse non négligeable de 12,5 milliards d’euros. «Ce sont des investissements payants pour les finances publiques», justifie Attal, conforté par les bonnes surprises successives sur l’embellie de l’emploi, conjuguées à un taux de chômage modéré (7,3 % au premier trimestre, selon l’Insee). L’enseignement scolaire, la recherche et l’enseignement supérieur gagneront ainsi ensemble 5,1 milliards d’euros.
Mais avec une augmentation de 6,7 milliards d’euros en 2023, c’est le budget alloué à la mission travail et emploi qui grimpe particulièrement. Cette hausse doit permettre l’investissement renouvelé dans l’apprentissage, avec l’objectif d’atteindre un million de bénéficiaires d’ici à 2027. Une aide de 5 000 ou 8 000 euros est accordée à cet effet aux entreprises pour les embauches d’apprentis dont les contrats sont signés jusqu’au 31 décembre. Peu importe si la Cour des comptes a rendu un avis très critique en juin, jugeant que ce dispositif était dans une «impasse financière», avec des coûts croissants et des difficultés à s’adresser aux personnes les plus en difficulté.
«ÉLAN BRISÉ PAR LA CRISE SANITAIRE»
Autre voie pour tendre vers le plein-emploi : la formation. Si le ministre promet de poursuivre son financement, dont la pièce maîtresse était le Plan d’investissement dans les compétences lancé en 2019, les évaluations sont mitigées. Ce dispositif n’a pas amélioré le taux de retour à l’emploi des chômeurs de longue durée. Dans le second volet de son rapport paru fin 2021, le comité scientifique indépendant chargé de l’évaluer jugeait que son «élan a été brisé par la crise sanitaire».
Toutes ces embellies budgétaires pour 2023 doivent être en partie compensées par la baisse prévue des crédits exceptionnels liés à la crise sanitaire et à ses conséquences. Exemple : la mission «plan de relance» perdra 8,6 milliards d’euros. «Nous allons entamer, avec le projet de loi de finances, une phase de normalisation budgétaire après le quoi qu’il en coûte lié au Covid, le plan de relance et les boucliers anti-inflation», explique Attal, qui dit viser un retour du déficit public à 5 % du PIB l’an prochain et exclut, à nouveau, toute hausse d’impôt pour y parvenir.
Une équation budgétaire difficile à tenir pour la vice-présidente de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Véronique Louwagie (Les Républicains) : «On annonce ce qui est le plus facile, mais on ne parle pas des efforts à faire. Nous n’avons aucun élément sur les réductions de dépenses publiques !»
A gauche, les oppositions ne sont pas plus convaincues. «Ces hausses budgétaires annoncées sont le plus souvent le fait de mesures et de dispositifs dans lesquels l’Etat n’est qu’un guichet, observe le président de la commission des finances, Eric Coquerel (La France insoumise). Sauf sur quelques postes, cela ne signifie pas un renforcement de l’Etat, de ses moyens d’action ou de ses effectifs. Ce n’est pas à la hauteur de la situation, notamment sur la transition écologique.»
Si la députée socialiste Christine Pirès-Beaune apprécie l’augmentation générale du budget de l’Etat, elle constate néanmoins qu’elle est annulée par le niveau de l’inflation. «Nous avons besoin de réinvestir dans les services publics, mais on parle de 14 milliards d’euros supplémentaires en valeur. En volume, c’est un budget qui diminue.» Attal ne le nie pas : tablant sur une inflation de 3,2 % en 2023, il calcule que le budget de l’Etat, en réalité, se rétractera de 2,5 %, compte tenu de l’évolution attendue des prix.
Pour l’éducation, un effort et du fard
L’enseignement bénéficie d’une hausse de 3,6 milliards d’euros. Une mesure conséquente mais pas aussi «historique» que l’a laissé entendre le ministre des Comptes publics.
MARLÈNE THOMAS
Alors que l’inquiétude monte sur une rentrée chaotique en pleine pénurie d’enseignants, le gouvernement dégaine le chéquier. En 2023, l’éducation verra son budget augmenter de 3,6 milliards d’euros selon le cadrage budgétaire arbitré par Matignon et envoyé par Bercy lundi aux différents ministères et au Parlement.
Inflation. «Une hausse historique», s’est félicité le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, dans un entretien aux Echos. «L’engagement du président de la République de la poursuite de la hausse des salaires sera tenu et aucun enseignant n’entrera dans la carrière à moins de 2 000 euros net», a-t-il promis.
Le budget attribué à l’enseignement scolaire, premier poste de dépenses de l’Etat devant la défense, passerait, selon les montants qui seront inscrits à la rentrée dans le projet de loi de finances (PLF), de 56,5 milliards d’euros cette année à 60,2 milliards en 2023. Un effort conséquent, mais est-ce réellement «historique» ?
L’historien de l’éducation Claude Lelièvre y perçoit «une augmentation significative, rare, mais qui n’est pas sans précédent», notant par exemple la hausse «nettement supérieure au début du deuxième septennat de François Mitterrand lorsque Lionel Jospin était ministre de l’Education nationale [de 1988 à 1992, ndlr]». En calculant les hausses budgétaires en fonction du produit intérieur brut, les dépenses pour l’éducation étaient alors «passées en trois ans de 6,6 % à 7,6 %, soit une augmentation de 0,3 % par an». Elle culmine pour 2023, selon son calcul, à 0,16 % du PIB, «deux fois moins que ce qui a eu lieu durant trois années consécutives sous Jospin. Ce n’est donc pas du tout historique.» C’est d’ailleurs durant ce deuxième septennat que l’enseignement scolaire devient le premier poste de dépenses de l’Etat. A la même époque, un sujet fait polémique : il est question, comme aujourd’hui, de primes et revalorisations liées à de nouvelles exigences professionnelles. Un autre exemple, plus récent, invite à relativiser ou du moins à questionner le caractère inédit de la hausse du budget 2023. En 2016, sous François Hollande, la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, annonce une hausse de près de 3 milliards d’euros du budget de l’enseignement scolaire pour 2017.
Différence notable entre ces deux budgets ? L’inflation. «On table actuellement sur 6 % d’augmentation de l’inflation en 2022 alors qu’en 2017 on était autour de 1 %. Ce n’est pas un détail», insiste l’historien.
Selon lui l’effort était supérieur sous Najat Vallaud-Belkacem.
Conditions. A quoi sont dévolues ces sommes ? Comme esquissé par Gabriel Attal dans les Echos, l’augmentation de 3,6 milliards doit «permettre de poursuivre et d’amplifier la revalorisation des rémunérations des personnels enseignants dès la rentrée 2023», peut-on lire dans les documents budgétaires détaillant les plafonds de dépenses pour chaque ministère. Mais aussi, «d’engager l’accompagnement du pacte pour les enseignants», comprendre ces fameuses augmentations conditionnées à des missions supplémentaires, comme le remplacement de collègues absents ou un investissement plus conséquent sur le temps périscolaire. En 2016, ces euros supplémentaires visaient, en partie, à augmenter le point d’indice et à accélérer les évolutions de carrière. «Sans obligation d’évolutions des services», rembobine Claude Lelièvre.
Du côté de l’enseignement supérieur et de la recherche, la hausse est de 1,5 milliard d’euros pour un budget prévisionnel de 30,8 milliards. Les crédits seront dédiés à la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche et au financement de «mesures en faveur de la vie étudiante»comme la revalorisation de 4 % des bourses sur critères sociaux à la rentrée 2022 et la prolongation du ticket U à 1 euro.