NPA Loiret

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La « sécurité sociale de l’alimentation » : un système universel pour sortir de l’agriculture productiviste

«La nourriture nous constitue, c’est pour cela qu’elle est si importante. Chargés de culture, de symboles, de valeurs matérielles et immatérielles, les aliments jouent un rôle social et politique, autant pour celles et ceux qui les produisent que pour celles et ceux qui les mangent. » (Bénédicte Bonzi, docteure en anthropologie sociale)

La crise sanitaire a remis sur le devant de la scène les files d’attentes devant les distributions d’aide alimentaire. Pour la première fois depuis plusieurs années, en 2021, la consommation de produits alimentaires bio en France recule, compromettant l’objectif pourtant insuffisant du ministère de l’Agriculture d’atteindre 18 % de surfaces agricoles en bio en 2027. Cela reste une consommation marginale.

Cela doit nous questionner sur l’alimentation : qui produit la nourriture ? comment et pourquoi ?

La proposition d’une sécurité sociale de l’alimentation, présentée dans ce dossier, est une réponse possible : socialiser l’alimentation pour la sortir des logiques capitalistes, aller vers une démarchandisation de l’alimentation, en s’appuyant sur le modèle de la sécurité sociale. La mise en place d’une telle organisation de la production alimentaire, à une échelle collective et macro-économique, ne peut naître que d’un rapport de force élevé. Dans le même temps, l’existence de ce projet, avec ses nombreux points à mettre en débat, peut donner confiance et nourrir les luttes à mener. C’est, dans tous les cas, un chantier enthousiasmant, dans lequel les anticapitalistes doivent prendre leur place.

Dossier réalisé par la commission nationale écologie du NPA

Le capitalisme, à la source des déséquilibres agricoles et alimentaires

Le capitalisme, à la source des déséquilibres agricoles et alimentaires, génère plusieurs violences. Mondialisée, la filière alimentaire s’appuie sur un passé d’exploitation coloniale et sur des rapports inégalitaires entre pays. Les matières premières agricoles sont un objet de spéculation comme un autre sur les marchés financiers. La crise du covid a entraîné des perturbations dans la production alimentaire et une hausse des prix mondiaux de 40 %.

Violence alimentaire

La violence alimentaire empêche une personne d’accéder à son droit à l’alimentation, ce qui donne lieu à des atteintes physiques et morales. C’est une violence structurelle, qui veut faire peser la responsabilité de la situation sur la personne impactée, laquelle doit fournir des efforts pour mieux se nourrir, afin de prévenir ses problèmes de santé (diabète, obésité…), alors que ce sont les causes de la situation qui doivent être modifiées.

22 % des ménages avec enfants, en France, sont en situation d’insuffisance alimentaire, le budget alimentaire devenant une variable d’ajustement, compte tenu de l’augmentation des charges d’un budget domestique.

Dans le monde, l’alimentation est un moyen pour les classes dominantes d’asseoir leur pouvoir. La faim peut être une arme de guerre, alors que le droit à l’alimentation apparaît dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, mais sans aucun encrage législatif en France.

Il s’agit d’une violence physique et psychologique, tant pour les bénéficiaires que pour les bénévoles quand celleux-ci prennent conscience de ce système.

Violence contre les paysanEs

La violence est aussi subie par les paysanEs et les travailleurEs de la filière. C’est l’ensemble de la filière alimentaire qui est à considérer, non seulement les parties production et consommation, mais aussi transformation et distribution.

Les rapports de domination, d’exploitation et de classe sont bien présents dans chaque pan de cette filière : beaucoup de salariéEs, souvent étrangerEs, exploitéEs, (saisonnierEs agricoles, travailleurs et travailleuses en abattoirs, dans la grande distribution, travail forcé dans certains pays, travail gratuit des femmes).

Les paysans et paysannes, dans le monde, représentent 570 millions de personnes, les femmes produisant 70 % de la nourriture. En France, isoléEs, mal rémunéréEs pour le travail difficile qu’ils et elles effectuent (un tiers des paysanEs touchait moins de 350 euros par mois en 2016), frustréEs de ne plus pouvoir nourrir correctement la population, ils et elles vivent aussi une violence extrême. En 2019, un agriculteur se suicidait chaque jour.

L’engrenage de la mécanisation et de l’endettement afin d’augmenter les volumes de production compte tenu de la baisse à l’achat des prix agricoles, imposée par les distributeurs, est bien connu.

Un quart des exploitations agricoles en France a cessé ses activité entre 2010 et 2015. L’accès au foncier, très difficile pour les jeunes qui souhaitent s’installer, ne permet plus d’assurer le renouvellement des activités agricoles.

La figure du paysan, indépendant et libre, est un mythe : la grande majorité des agriculteurs se rémunère grâce à la Politique agricole commune (PAC) européenne. Dans le même temps, leſ payſanEſ ne perçoivent que 6,2 % du revenu de la filière agro-alimentaire.

Actuellement, la très grande majorité de la population se nourrit via les circuits de la grande distribution. La distribution alimentaire est détenue en France à 90 % par six grands groupes, Auchan, Système U, Carrefour, Leclerc, Intermarché et Casino, pour un chiffre d’affaires, sur l’alimentation, de 19 milliards d’euros.

Contre un système alimentaire à deux vitesses

À côté de ce mode de distribution, l’agriculture dite paysanne est contenue dans un marché segmenté. Avec les alternatives à l’agro-industrie (AMAP, marchés de producteurs, coopératives…), se développe un système alimentaire à deux vitesses : d’un côté une alimentation de qualité issue de modes de production et de distribution alternatifs, et de l’autre des produits de mauvaise qualité qui ont un impact négatif sur la santé et l’environnement.

Le projet de sécurité sociale de l’alimentation consiste à mettre en place un système agricole et alimentaire qui permette de répondre aux besoins de la population, d’assurer l’accès à une alimentation de qualité, choisie, en l’articulant au droit à un revenu pour les travailleurs de l’alimentation, de la production à la distribution, et au respect de l’environnement.

En prenant comme modèle la sécurité sociale instituée par l’ordonnance de 1945, il s’agirait de sanctuariser, via une carte vitale de l’alimentation, un budget de 150 euros par mois et par personne, utilisable auprès de professionnelEs, conventionnés selon des critères sociaux et écologiques, définis démocratiquement. Le budget nécessaire, évalué à 118 milliards par an, serait financé par des cotisations patronales et/ou salariales.

Si le projet de Sécurité sociale alimentaire est porté par un large collectif, c’est, semble-t-il, ISF-Agrista (Ingénieurs sans frontières)1, la Confédération paysanne2, le réseau CIVAM (Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et Réseau salariat qui portent les réflexions les plus avancées même si touTEs ces militantEs insistent sur l’aspect chantier du projet. L’ensemble du collectif3, à travers son « socle commun »4 reprend largement les analyses de fond de Bernard Friot, tout en maintenant le débat ouvert sur bien des points importants.

  • 1.https ://www.isf-france.org/artic…
  • 2.Revue Campagnes solidaires, mensuel de la Confédération paysanne, n° 364, septembre 2020, pages 14 à 22.
  • 3.Les membres du collectif : ISF-Agrista, Réseau CIVAM, Réseau salariat, Confédération paysanne, Les Ami.es de la Confédération paysanne, le Collectif démocratie alimentaire, l’Atelier paysan, Ardeur, Mutuale, l’UFAL et VRAC. Réseau salariat est une association d’éducation populaire qui se fonde sur les travaux de recherche de Bernard Friot pour penser un projet de société permettant la sortie du modèle capitaliste, en s’appuyant sur les mécanismes déjà existants, en particulier le régime général de Sécurité sociale. Le projet de Réseau salariat se base sur quatre objectifs phares : l’attribution d’un salaire à vie comme droit politique, l’abolition de la propriété lucrative tout en préservant la propriété d’usage des moyens de production, la création de caisses d’investissement et le renforcement de caisses de service public.
  • 4.https://securite-sociale…

Qui décide de ce que nous mangeons ?

La filière alimentation est dominée par quelques gros acteurs : Bigard (Charal), Avril (Lesieur, Sanders, Diester…), Savéol, Tereos (Béghin-Say), Agrial (Soignon et 50 autres marques de fromage). Ce sont ces groupes et leurs actionnaires qui décident et orientent les choix d’ensemble. Ces choix généraux sont faits en lien étroit avec les politiques publiques mises en place à de nombreux niveaux, y compris au niveau supra-national, dans les instances de l’Union européenne. Le syndicalisme paysan majoritaire s’est complètement soumis à ces choix calamiteux : la FNSEA a accompagné, relayé, rendu possible la mise en place du productivisme agro-alimentaire.

L’objectif est de changer la donne

La gestion des caisses de la Sécurité sociale de 1946 à 1967 a été une première étape. C’est sa réussite sur des décennies qui a inspiré les militantEs portant l’idée d’une « Sécu de l’alimentation ». Une réussite macro-économique malgré les attaques continues dont le régime général est l’objet, et les tentatives ­permanentes pour le dénaturer.

La Sécurité sociale de l’alimentation est un bon levier pour s’attaquer au pouvoir des actionnaires. Parce qu’elle concerne tout le monde et nous est vitale, l’alimentation est un secteur tout indiqué pour mener cette offensive sociale.

La perspective d’ensemble proposée est celle ouverte par le régime général de la Sécurité sociale, celle d’une société où toute la valeur ajoutée est socialisée et reconnue comme résultant du travail de toutes et tous, où le profit est totalement délégitimé. C’est la perspective d’une société où les décisions relatives à « Qui produit quoi ? » et « Comment la valeur ajoutée est-elle distribuée ? » sont prises collectivement.

La Sécurité sociale de l’alimentation sera composée d’un réseau de caisse implantées à l’échelle des bassins de vie, en connexion les unes avec les autres, pour l’approvisionnement des productions qu’elles n’ont pas sur leur territoires et la distribution des surplus. Elles réuniront habitantEs et salariéEs des collectifs de travail conventionnés.

Aussi souvent que possible, la prise de décision se fera par participation directe. Pour la gestion des caisses, des personnes, désignées par tirage au sort pour un mandat unique, seront rémunérées pour le travail fourni et bénéficieront d’une formation.

La mise en place de critères de conventionnement sera incontournable afin de garantir le déploiement de la filière alimentaire conventionnée hors du système capitaliste productiviste et d’assurer une adaptation aux besoins territoriaux. Les entreprises seront composées de salariéEs copropriétaires d’usage de leur outil de travail et la valeur ajoutée créée sera socialisée puisque versée dans le budget de la Sécurité sociale.

Les caisses de Sécurité sociale de l’alimentation seront amenées à investir pour développer la filière.

La proposition est à visée internationaliste. Elle repose pour l’instant sur le modèle du régime général de la Sécurité sociale française. La vraie transformation ne pourra pourtant s’effectuer qu’à échelle supra-nationale. Nos luttes devront prendre cette dimension d’extension du système au-delà des frontières nationales.

Développement de la filière « alimentation »

Les caisses de Sécurité sociale de l’alimentation seront amenées à investir pour développer la filière.

Dans le système capitaliste, l’investissement se fait par l’emprunt, le recours aux banques et aux marchés financiers. Par le système de la dette, les capitalistes, les « apporteurs de capitaux », les « investisseurs » abusivement dénommés « entrepreneurs » dirigent les choix d’investissement et les choix de productions. Les politiques publiques actuelles sont toutes soumises aux dogmes du néo­libéralisme productiviste.

Une nouvelle cotisation sociale « alimentation »

Il existe des pratiques d’investissement qui permettent de se passer du crédit lucratif et de l’actionnariat, notamment au niveau communal, mais c’est absolument marginal.

Par contre, l’expérience de l’investissement massif – via le régime général – dans l’hôpital entre 1946 et 1983 prouve, ici à un niveau macro-économique, qu’on peut faire sans emprunt bancaire, par subventionnement. Cela devrait être l’enjeu actuel des luttes sur le terrain sanitaire.

C’est la piste la plus solide pour le projet de Sécurité sociale de l’alimentation, plus solide que l’investissement par l’impôt, lequel impôt n’est pas du salaire socialisé mais une ponction de la valeur créée qui intervient après la répartition entre le travail (salaire et cotisations encore appelées salaire socialisé ou bien salaire indirect) et capital (profits, dividendes). Or, l’impôt qui intervient lors de la répartition secondaire laisse subsister une légitimité au profit, au capital, aux capitalistes…

C’est pourquoi nous choisissons l’investissement par le subventionnement via les nouvelles caisses de la Sécurité sociale de l’alimentation, elles-mêmes abondées par la nouvelle ­cotisation sociale « alimentation ».

Favoriser l’installation en agriculture paysanne et biologique

La lutte pour la nouvelle Sécurité sociale de l’alimentation sera alors le vecteur essentiel pour engager l’immense bouleversement qui s’impose d’urgence. L’objectif étant alors de verser les subventions d’investissement aux entreprises ayant vocation à être conventionnées, qu’il s’agisse de création d’entreprises ou de la transformation d’entreprises déjà existantes. Ces subventions alors obtenues sont le moyen par lequel ces entreprises pourront se dégager de l’endettement, cause principale de la soumission aux orientations capitalistes, intrinsèquement productivistes.

Avoir la main sur l’investissement, c’est aussi favoriser l’accès de toutes et tous à la création d’entreprises. Les subventions versées par les caisses de Sécurité sociale de l’alimentation permettront à de nouveaux collectifs de s’installer dans le respect des critères établis pour obtenir le conventionnement. Le versement de subventions d’investissement permettra aussi à des entreprises déjà existantes de faire évoluer leurs pratiques dans le but d’être conventionnées.

Ainsi un très grand nombre de personnes pourront s’installer en agriculture paysanne et biologique et intégrer des collectifs de travail autogérés (fermes, ateliers de transformation, épiceries, etc.) en ayant la garantie du salaire et dans le cadre d’une filière alimentaire débarrassée des objectifs lucratifs qui prédominent actuellement. Dans cette dynamique, un mouvement de population avec installation en milieu rural pourra s’amorcer.

Ainsi, l’ensemble de la population pourra accéder à une alimentation conventionnée, de qualité, via une allocation mensuelle et l’instauration d’un service de restauration collective gratuit.Une perspective globale de la gestion de l’alimentation

Pour transformer l’ensemble du système alimentaire, le changement d’échelle est fondamental. Les choix économiques qui seront faits pour financer la Sécurité sociale de l’alimentation seront déterminants. La proposition qui est faite est d’appliquer la philosophie du régime général à l’alimentation et de continuer le mouvement dans d’autres secteurs avec l’ambition d’une transformation sociale générale.

Une proposition systémique

La création de richesse se matérialise dans le secteur marchand (par les échanges monétaires) mais n’est rendue possible que par le fonctionnement général de la société, y compris par le travail fourni hors du secteur marchand. Généralement, cet important travail hors secteur marchand, comme le travail ménager assuré pour l’essentiel par les femmes, est invisibilisé. C’est la mise en commun (ou socialisation) de la valeur ajoutée produite par le secteur marchand qui permettra l’organisation d’une société débarrassée de l’exploitation d’êtres humains par d’autres.

L’allocation mensuelle via la carte « Sécu alimentation » sera universelle, donc pour toute personne résidant sur le territoire, et non réservée à une certaine catégorie de la population (précarisée, ou bien parce qu’elle cotise via son emploi). Les critères d’exclusion n’ont pas leur place dans ce projet.

Dans un premier temps, la Sécurité sociale de l’alimentation n’empêchera pas la coexistence d’un marché alimentaire capitaliste. Mais avec la nouvelle cotisation sociale « Alimentation », avec les cantines auto-gérées, avec le versement d’une allocation mensuelle ne pouvant être dépensée qu’auprès des entreprises conventionnées, c’est l’ensemble de la filière qui devra se reconfigurer. Mais la « coexistence pacifique » est un leurre, et cela ne peut être un moment qui s’éternise car deux logiques opposées sont en présence. Si nous ne nous battons pas dès le départ pour une proposition systémique qui englobe l’ensemble des secteurs (production/transformation/distribution/consommation), nous risquons de reproduire ce qui se passe dans la santé avec l’industrie pharmaceutique : créer un marché captif pour la grande distribution. Il est essentiel que les salariéEs deviennent les copropriétaires d’usage de leurs magasins, de leurs entreprises, de leurs restaurants et qu’un rapport de force s’engage sur le terrain de la propriété.

Dans leur conclusion, les auteurs du livre Régime général. Pour une sécurité sociale de l’alimentation1, posent une multitude de questions, toutes de grande importance, souhaitant par là même que le débat s’élargisse. C’est un grand chantier politique qui est ouvert dans lequel les anti-capitalistes ont toute leur place.

  • 1.Laura Petersell et Kevin Certenais, Régime général. Pour une sécurité sociale de l’alimentation. Riot Éditions. Voir la présentation au Lieu-Dit (Paris 20e) : https ://www.youtube.com/watch ?v=NGtpZUUnwU4

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Cette entrée a été publiée le 22 août 2022 par dans AGRICULTURE, CRISE ECOLOGIQUE, FRANCE, Paysans.
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