NPA Loiret

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Vers une privatisation des AESH (et de l’école publique) au profit exclusif des familles les plus aisées ?

Les tentations d’un financement privé des AESH par les parents deviennent réalité. Face aux inégalités inacceptables qui en découleront, ces pratiques non conformes à la réglementation doivent cesser.

Paul DEVIN

Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l’Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l’Institut de Recherches de la FSU

Les AESH intervenant en milieu scolaire sont des contractuels de droit public recrutés par l’Education nationale dans le cadre d’un CDD pouvant évoluer vers un CDI. Leur intervention nécessite que la MDPH notifie qu’elle répond à un besoin de l’élève consécutif à son handicap. L’existence de contrats de droit privé (CUI et CAE) en réservait l’usage dans le cadre de recrutements opérés par des établissements publics locaux d’enseignement (c’est-à-dire des collèges ou des lycées) ou par les organismes de gestion de l’enseignement catholique. Le recrutement privé par les familles des enfants concernés est donc réglementairement exclu.
Pourtant, sur les réseaux sociaux, les annonces d’offres d’emplois privés, recrutés et financés par les parents, sont de plus en plus nombreuses pour des AESH intervenant en milieu scolaire. Beaucoup sont des initiatives parentales, souvent soutenues par une association, cherchant à pallier l’absence d’AESH pour un enfant bénéficiant pourtant d’une notification MDPH mais qui s’avéreront sans succès du fait même de leur incompatibilité avec le cadre contractuel réglementaire.
Mais le détournement de ces impératifs réglementaires semble devenir, ici ou là, une possibilité. Parfois, il a procédé d’un arrangement discret entre un directeur·trice d’école et la famille auquel l’administration vient mettre un terme quand elle découvre la situation. Mais une tolérance consciente voit le jour qui fait semblant de ne rien voir pour ne privilégier que la satisfaction immédiate des revendications parentales et palier aux manques institutionnels.

L’interrogation téléphonique de futurs employeurs, à la suite d’annonces d’emploi privé, s’avère des plus révélatrice : recrutement opéré par les parents, salaire financé par les parents, définition des missions et contrôle de l’intervention de l’AESH par une association choisie par les parents, voire par les parents eux-mêmes… Et tout cela dans le cadre d’annonces dont certaines sont relayées par des associations ou des structures médico-sociales agréées par les ARS (par exemple, un centre de ressources autisme).
Interrogés sur leur motivation à recruter directement, les parents témoignent de leurs difficultés à se satisfaire de temps d’AESH des plus réduits, voire de leur colère à ce que leur enfant ne puisse bénéficier d’AESH malgré une notification. Mais d’autres s’engagent dans ce recrutement parce qu’ils n’ont pas obtenu de notification et considérant que les décisions de la MDPH ont obéi à des considérations budgétaires et non à une évaluation objective !

D’aucuns pourraient être tentés par ce recours à l’emploi privé dans un contexte où l’insuffisance des moyens et les conséquences des PIAL[1] multiplient les tensions avec des parents qui revendiquent l’effectivité des droits accordés par la MDPH et les conditions nécessaires à une inclusion qualitative capable de permettre les progrès scolaires de leur enfant.
Mais une telle évolution ne serait pas sans gravissimes conséquences.

Tout d’abord permettre l’existence d’AESH employés par des parents rendrait légitime qu’ils veuillent définir et contrôler le travail de leur salarié·e. Les difficultés d’articulation avec le travail mis en œuvre en classe multiplieraient les conflits et conduiraient à appauvrir les liens avec le travail scolaire qui constituent un facteur d’inclusion. Le risque est d’autant plus grand que bien des annonces indiquent une fourchette de rémunération horaire qui permettra une forte pression prescriptive. On imagine déjà les conséquences psycho-sociales pour des AESH tenaillés entre des demandes contradictoires.

Mais c’est surtout sur un plan social qu’une telle orientation serait scandaleuse parce qu’elle serait profondément inégalitaire. Seuls les enfants de familles disposant de revenus élevés pourraient bénéficier de temps importants d’accompagnement quand les enfants des familles populaires devraient se contenter de la portion congrue des organisations mutualisées. Interrogée sur la garantie de la rémunération pour le salarié, une association qui contribue au recrutement pour la famille assure une sélection des familles permettant de garantir la solvabilité de l’employeur.
La ségrégation sociologique est déjà visible dans les annonces qui émanent bien davantage de parents résidant à Paris ou dans les Hauts-de-Seine qu’en Seine-Saint-Denis.

Déjà des startups vantent leurs offres d’accompagnement des familles. On voit se dessiner la configuration classique d’une mise en marché.
Face à une telle évolution aussi inégalitaire, soit le ministère donne des consignes fermes à l’administration pour qu’elle mette fin à ces pratiques, soit le ministère fait semblant de ne pas voir … et nous constaterons, une fois de plus, la nature profondément inégalitaire des politiques publiques éducatives engagées.
Si nous voulons que tous les enfants handicapés puissent bénéficier des meilleures espérances éducatives, c’est la volonté budgétaire d’une politique publique égalitaire qui les rendra possibles. Seuls des moyens à la hauteur des besoins écarteraient toute tentation d’un transfert des charges qui ne bénéficierait qu’aux classes sociales les plus favorisées.

Merci à Sandrine et Arnaud pour leur contribution à cette enquête.

[1] PIAL : Pôles inclusifs d’accompagnement localisés, nouvelle organisation visant essentiellement à la rationalisation budgétaire des moyens et ayant conduit à une fragmentation des interventions des AESH et donc à la réduction du temps consacré à chaque enfant.

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Cette entrée a été publiée le 6 novembre 2022 par dans AESH, EDUCATION NATIONALE, ENSEIGNEMENT, ETAT POLICIER, FRANCE.
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