À l’appel du collectif féministe #NousToutes, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans
toute la France pour dénoncer les insuffisances du gouvernement en matière de lutte contre les
violences de genre.
David Perrotin
19 novembre 2022 à 21h42
«Qui sème l’impunité récolte la colère. » Pour les milliers de manifestant·es présent·es dans les rues
de Paris ce samedi 19 novembre, il n’était pas question d’être lassés ou désespérés. La colère était
le seul mot d’ordre, scandé ou affiché sur les centaines de pancartes violettes de la manifestation parisienne.
Une colère face à des chiffres tristement intacts et que le collectif féministe #NousToutes, à l’initiative de cette marche, rappelle encore et toujours.
« 80 % des plaintes pour violences au sein du couple sont classées sans suite, martèle l’association. 65 % des victimes de féminicides avaient saisi les forces de l’ordre ou la justice ; deux victimes sur trois font état d’une mauvaise prise en charge lorsqu’elles veulent porter plainte ; 90 % des plaintes pour harcèlement sexuel au travail sont classées sans suite ; seulement 0,6 % des viols sont condamnés. »
Comme chaque année depuis 2018, le week-end précédent la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes – le 25 novembre prochain –, le collectif #NousToutes avait appelé à défiler dans les rues de toute la France pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles. Le collectif a compté 80 000 personnes à Paris ce samedi après-midi (soit 30 000 personnes de plus que l’an dernier), mais la police en a recensé seulement 18 500.
Si la question des violences de genre est bien plus prise en compte cinq ans après #MeToo dans le discours politico-médiatique, de nombreuses féministes ont tenu à défiler pour dénoncer « l’habituelle inertie du gouvernement », mais aussi la violence de certains discours contre les mouvements de lutte. Pour Pauline Baron, porte-parole du collectif #NousToutes, ce rassemblement était « un souhait autant qu’une urgence face au backlash actuel et au déferlement de discours racistes, islamophobes, LGBTIphobes et validistes ».
La manifestation #NousToutes à Paris critique le gouvernement, et LFI | Mediapart 20/11/2022 14:36
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Dans la manifestation parisienne, samedi 19 novembre. © Photo Estelle Ruiz / Hans Lucas via AFP
Cette année, le collectif, qui a vu sa coordination renouvelée après le départ de Caroline De Haas, a insisté sur « la convergence des luttes » en rassemblant bien plus d’organisations que les années précédentes. Le cortège de tête était réservé à des organisations plus radicales et diversifiées comme l’association Acceptess- T qui lutte contre les discriminations transphobes, le collectif Mille et une lesbiennes et queers, Les Dévalideuses qui représentent les voix des femmes handicapées, le collectif Enfantiste ou l’association les Hijabeuses…
Intersectionnalité et convergence des luttes
Dans leur appel à manifester, #NousToutes avait aussi tenu à montrer que la situation était catastrophique pour de nombreuses femmes, dans de nombreux endroits : « Lorsque 225 000 femmes sont victimes de la violence de leur conjoint ou ex-conjoint chaque année, quand un tiers des femmes sont victimes de harcèlement sexuel au travail, quand 80 % des femmes handicapées sont victimes de violences, quand 85 % des personnes trans ont déjà subi un acte transphobe, quand 69 % des femmes racisées sont victimes de propos discriminants
au travail, quand les femmes grosses ont 4 fois plus de risque d’être discriminées au travail, quand 6,7 millions de français·es ont subi l’inceste, quand des patient·es sont violé·es dans cabinets gynécologiques ou des maternités, nous n’avons pas le choix ! »
« La coordination nationale a beaucoup changé, le mouvement a évolué », se félicite Pauline Baron. « On porte ces questions d’intersectionnalité et de convergence de lutte de manière plus forte aujourd’hui. Sur les questions
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de prostitution et de travail du sexe, on ne prend toujours pas position mais on fait en sorte de beaucoup plus
visibiliser les violences à l’encontre des femmes en situation de prostitution », ajoute-t-elle.
Place de la République à Paris, point de départ de la manifestation, des centaines de pancartes viennent
dénoncer l’inaction du gouvernement, mais aussi les violences que subissent les travailleuses du sexe, les femmes trans ou les LGBTQIA+. Entre des chansons d’Alicia Keys, d’Angèle ou d’Aya Nakamura, des participantes scandent : « Nous sommes fortes, nous sommes fières et féministes et radicales » ou « On se lève, on se casse, et on vous emmerde ! ».
Cinq ans après #MeToo, le constat reste en effet désastreux. En 2021, 122 femmes ont été tuées par leur
conjoint ou ex-conjoint, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, comparables à ceux des années
précédentes, hors confinement. Et le bilan de 2022 promet d’être encore plus lourd puisque le collectif
recense déjà 120 féminicides depuis le début de l’année. Pour ce seul mois de novembre, déjà neuf femmes ont été tuées, soit une tous les deux jours.
Malgré ce constat accablant, les milliers de participant·es ont tenu à montrer qu’ils et elles « ne comptaient rien lâcher ». Iris, 15 ans, est venue avec des amies de sa classe de seconde « pour montrer qu’[elles] se préoccupent de [leurs] droits même si certains les ignorent ». « L’État ne fait pas assez et se contente des mêmes discours. On vient marcher pour tenter de grappiller des droits par-ci par-là », explique l’adolescente.
La politique des petits pas, c’est justement ce que reproche le collectif #NousToutes qui, comme de
nombreuses associations, réclame des réformes ambitieuses avec le déblocage de 2 milliards d’euros et le vote d’une loi-cadre à l’image de ce qui a pu être fait en Espagne. Celle-ci permettrait la création de
« brigades et juridictions spécialisées », d’une aide financière pour la « mise en sûreté » des femmes victimes, 15 000 places d’hébergement supplémentaires ou encore le renforcement de l’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école dont l’application n’est absolument pas respectée.
De République à la place de la Nation, certains demandent à ne pas oublier les « victimes d’outre-mer et
d’Afrique », mais aussi celles d’Iran. Des panneaux condamnent « le port du hidjab obligatoire » ou affichent, le slogan « Femmes, Vie, Liberté ».
« Violences conjugales, l’État a du sang sur les mains », peut-on lire sur une pancarte tenue par Céline. Cette femme de 46 ans travaille au Centre Flora Tristan qui accueille et vient en aide aux femmes victimes de violences. « On ne voit pas de véritables améliorations », déplore-t-elle.
« Au quotidien, je constate que les femmes ne sont toujours pas crues lorsqu’elles se rendent au commissariat. Je constate qu’il n’y a pas d’avancée sur la sensibilisation et la formation auprès des jeunes ou des institutions. Je constate qu’une femme qui vient déposer plainte pour viol peut attendre jusqu’à une heure du matin dans un commissariat avec son enfant sans que personne ne trouve cela anormal », égrène-t-elle.
Comme les années précédentes, le ministre de l’intérieur est l’objet de la même indignation et le sujet de
nombreuses pancartes. « On veut des clitos partout, Darmanin nulle part » ou « Calmez-vous messieurs, ça va bien se passer », en référence aux propos sexistes qu’il avait tenus devant Apolline de Malherbe.
La position de LFI sur Quatennens vivement dénoncée
Mais d’autres politiques retiennent l’attention de cette quatrième édition. Lors de sa conférence de presse, le collectif #NousToutes a interpellé les partis politiques LFI et EELV, et a notamment rappelé que le fait qu’ils aient signé leur appel à manifester n’était pas sans condition. « On va leur demander aujourd’hui de respecter leur signature » et de « retirer de leur groupe parlementaire des hommes mis en cause pour violences », a déclaré Pauline Baron, en citant nommément les cas d’Adrien Quatennens (LFI) et Julien Bayou (EELV).
Et d’ajouter : « Le retour de Quatennens à l’Assemblée semble acté, mais on souhaite qu’il ne revienne plus
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siéger dans le groupe politique et surtout que les représentants de LFI qui retournent dans les médias pour
parler de son cas arrêtent de minimiser les violences qu’il a commises à l’encontre de sa femme. »
Les élu·es LFI justement présent·es à la manifestation ont bien du mal à aborder le sujet, mais refusent
d’appeler au retrait de leur camarade. Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale,
affirme, à tort, qu’Adrien Quatennens a été sanctionné, pour justifier son retour.
« Il faut accepter le fait qu’une personne comme Adrien [Quatennens], engagée
contre les violences sexistes et sexuelles, commette un acte qui n’est pas un acte
correct et reconnaisse lui-même que c’est une violence. »
Antoine Léaument, député LFI
« Je pense qu’il y a une question féministe qui n’est pas posée et qui est celle de la réhabilitation. Il y a une
question de graduation évidente. Adrien Quatennens a reconnu les faits. La question de son retour se pose »,
explique l’élue. « Non, il n’y a pas eu de sanction mais il a reconnu avoir frappé sa femme dans le cadre d’un
divorce compliqué. Et il a tout de même été mis en retrait du mouvement », nuance Antoine Léaument, député
LFI de l’Essonne.
Selon lui, « il faut aussi accepter le fait qu’une personne comme Adrien, qui est une personne engagée contre les
violences sexistes et sexuelles, commette un acte qui n’est pas un acte correct, le reconnaisse et reconnaisse luimême
que c’est une violence. Il doit maintenant prendre sa part pour faire en sorte que son retour soit utile à la
lutte contre les VSS. J’ai confiance en lui pour que ce qu’il fasse soit utile dans cette lutte. »
Une position qui est loin de satisfaire la plupart des personnes présentes à la manifestation. Rayan, 20 ans et
membre des Jeunes de la Nupes d’Essonne, considère « qu’aucune violence sexiste n’est acceptable » et
« qu’aucun politique qui en a été l’auteur n’a à nous représenter ». « Je reconnais qu’il a aidé à lutter pour cette
cause, mais son retour est inadmissible », tranche-t-il.
Plus loin, Lucie, 23 ans, se balade avec une pancarte : « Recyclez vos déchets, n’en faites nos ministres ». Elle
fait référence à Gérald Darmanin, mais pense aussi à Adrien Quatennens. « Je ne suis pas pour la cancel
culture, mais dans la mesure où il a avoué frapper sa femme, j’estime qu’il ne peut plus être un représentant de
la nation. »
« J’ai voté Nupes aux dernières élections, mais j’ai un peu honte de certains discours. Je ne comprends pas à
quoi jouent certains responsables politiques en faisant croire qu’on peut gifler une femme et rester dans un
parti politique qui prétend lutter contre les violences conjugales », juge quant à elle Isabelle, 37 ans.
Sandrine Rousseau, députée Nupes, et régulièrement acclamée dans le cortège, partage ses doutes. « Nos
organisations politiques n’ont pas fait leur mue sur la question des violences sexistes et sexuelles et ne prennent
pas ça de la bonne manière. C’est toujours pris sous l’angle affectif au lieu de prendre le sujet sous l’angle
politique et se demander comment faire pour gérer ça », analyse la députée.
« En l’occurrence pour EELV, il n’y a eu aucune espèce de réflexion depuis la sortie des articles sur Julien Bayou.
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On ne demande pas systématiquement leur tête , mais au moins une réflexion pour prendre en compte ces
sujets », insiste-t-elle.
Cesser d’invisibiliser
Parmi les nombreux cortèges, le collectif Enfantiste a également tenu à fouler le pavé pour rappeler
l’existence « de victimes trop souvent invisibilisées ». « On a 160 000 enfants qui sont victimes de violences
sexistes et sexuelles chaque année en France, dont 130 000 qui sont des filles. On en a 4 millions qui sont covictimes
de violences conjugales, rappelle Claire, porte-parole. Il est important qu’on puisse enfin visibiliser ce
sujet car si on ne traite pas les violences faites aux enfants, on ne pourra pas traiter les violences faites aux
femmes. »
Ce samedi à Paris, la plupart des manifestant·es tenaient à rappeler que la question des violences sexistes et
sexuelles est une question de violence de genre, et qu’il faut cesser l’invisibilisation de nombreuses
populations. Récemment, #NousToutes a d’ailleurs mis en place un décompte plus large des féminicides, en
faisant le choix de retenir le meurtre d’une femme ou minorité de genre en raison de son identité de genre
réelle ou supposée.
Une démarche qui rejoint l’analyse de Christelle Taraud, historienne, spécialiste des questions de genre et de
sexualité dans les espaces coloniaux, et qui vient vient de publier Féminicides, une histoire mondiale (La
Découverte, 2022).
Interrogée par Mediapart, elle justifiait quelques heures avant la manifestation le fait de parler d’une
« pandémie » : « Partout dans le monde, ce que nous appelons un “féminicide” est décompté comme un acte
isolé, individuel. Or ce comptage est partiel, et partial. » Les manifestant·es de cette journée entendent bien que ce comptage soit toujours plus complet.