Attendue fin décembre, la décision de non-lieu définitif devrait faire l’objet d’un appel de la part des victimes qui avaient déposé plainte pour empoisonnement en 2006, en raison de l’emploi à grande échelle de cet insecticide ultratoxique dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique.
Par Nathalie Guibert et Jean-Michel Hauteville(Fort-de-France (Martinique), correspondance)
Une femme porte un t-shirt avec le slogan « Tous contre le chlordécone », près d’un barrage routier à La Boucan, à Sainte-Rose, en Guadeloupe, le 29 novembre 2021. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
L’affaire n’est pas encore conclue mais, pour nombre d’Antillais, son dénouement, après seize ans de procédure, laisse peu de place au doute. Le parquet de Paris a rendu, jeudi 24 novembre, son réquisitoire définitif, à des fins de non-lieu, dans le dossier pénal du chlordécone. Utilisé durant des décennies en Guadeloupe et en Martinique contre le charançon du bananier, ce pesticide organochloré a empoisonné l’environnement et est soupçonné de provoquer de nombreuses maladies au sein de la population.
Les investigations avaient été closes le 25 mars par les juges d’instruction chargés du dossier au pôle santé du tribunal judiciaire de Paris, au grand dam des associations qui avaient déposé plainte en 2006 pour « empoisonnement », « mise en danger de la vie d’autrui », « administration de substance nuisible » et « tromperie sur les risques inhérents à l’utilisation des marchandises ».
Or, souligne la procureure de la République dans la conclusion de son réquisitoire de 132 pages, consultée par Le Monde, les faits d’empoisonnement « ne peuvent recevoir la qualification légale d’“empoisonnement” » et sont « en tout état de cause couverts par la prescription ». Idem pour les faits de « mise en danger de la vie d’autrui » qui, en outre, « ne constituaient pas une infraction pénale avant le 1er mars 1994 ».
Le non-lieu définitif paraît donc à ce jour très probable, et aucune mise en examen n’a été décidée. La décision finale, qui, selon les informations du Monde, devrait suivre cet avis motivé du parquet, est attendue par les défenseurs des victimes à la fin du mois de décembre.
Toutefois, les avocats disposent d’un mois pour déposer des recours et ne manqueront pas, ensuite, de faire appel. « Le parquet estime que l’infraction d’“administration de substance nuisible” n’est pas suffisamment caractérisée et qu’il y a un problème de preuves, à nous de voir comment apporter ces preuves », réagit Christophe Lèguevaques, un des avocats des victimes. « Nous allons continuer à nous battre, n’oublions pas que nous sommes en matière d’infractions dissimulées, pour lesquelles le point de départ judiciaire est la découverte des faits : pour nous, c’est le constat, fait en 2004 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes » du problème, ajoute-t-il.
L’Etat « premier responsable »
Bien qu’attendue depuis longtemps, cette nouvelle a suscité de nombreuses réactions indignées aux Antilles. « On continue à s’enfoncer dans un drame », déplore Serge Letchimy, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique, qui s’est constituée partie civile en octobre 2021. « Cela peut être interprété comme un déni de justice », poursuit cet ancien député, qui avait présidé la commission d’enquête parlementaire mise en place en 2019 pour faire la lumière sur ce scandale.
Chlordécone : des solutions pour la décontamination des sols mais irréalisables faute de moyens Affaire du chlordécone aux Antilles : un non-lieu demandé par le parquet de Paris
Le parquet de Paris a demandé un non-lieu dans l’affaire du chlordécone aux Antilles, évoquant notamment une prescription des faits. Plus de 90 % des Antillais ont été exposés à ce pesticide.
La justice a peut-être sonné le glas de l’affaire de la contamination au chlordécone dans les Antilles françaises. Le parquet de Paris a demandé un non-lieu, évoquant notamment une prescription des faits. « L’absence de lien de causalité scientifiquement établi entre l’exposition au chlordécone et les effets constatés sur la santé rend toute caractérisation de délit d’administration de substances nuisibles impossible. Un non-lieu sera donc requis de ce chef », a déclaré le parquet de Paris, jeudi 24 novembre.
Les associations regrettent la décision du parquet
Le chlordécone est un pesticide très toxique utilisé dans les champs de bananes jusqu’en 1993 aux Antilles, alors qu’il avait été interdit par la France trois ans plus tôt. Une substance dangereuse qui a contaminé durablement les sols et la population. Aujourd’hui, plus de 90 % des Antillais ont été exposés à ce pesticide. Les associations regrettent la décision du parquet de Paris. Pour que le non-lieu dans cette affaire soit confirmé, les juges d’instruction doivent encore se prononcer sur la tenue ou non d’un procès. Il y a un an, pourtant, le cancer de la prostate lié à une surexposition au chlordécone avait été inscrit au tableau des maladies professionnelles.