Bertrand Bissuel Et Thibaud Métais le Monde
Le patronat est plutôt content, mais se garde bien de le clamer haut et fort. La réforme des retraites, dévoilée mardi 10 janvier, va dans le bon sens, à ses yeux, car le report de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ permettra d’améliorer les comptes du système de protection sociale, tout en stimulant, à terme, la croissance économique. Les organisations d’employeurs émettent toutefois quelques critiques et bémols, en particulier sur l’emploi des seniors qui pourrait, selon certaines d’entre elles, devenir une source potentielle de difficultés.
« Les décisions prises sont indispensables et globalement satisfaisantes », confie Geoffroy Roux de Bézieux. Le numéro un du Medef souligne que le relèvement de l’âge d’ouverture des droits à une pension, couplé à une accélération de l’allongement de la durée de cotisation, contribuera au retour « à l’équilibre financier de notre système par répartition, même s’il faudra peut-être remettre l’ouvrage sur le métier après 2030 ».
Vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Eric Chevée pense qu’il aurait été « préférable » de pousser le curseur jusqu’à 65 ans, mais son appréciation d’ensemble demeure très positive. D’après lui, le projet de l’exécutif contient des dispositifs « d’équité » : « Ça nous tenait à cœur, notamment sur l’usure professionnelle », affirme-t-il, en faisant référence à « l’effort d’investissement massif » qui est programmé en la matière : 1 milliard d’euros devrait être débloqués sur cinq ans, afin de mener des actions pour limiter, autant que possible, l’exposition des salariés à des « risques ergonomiques » (port de charges lourdes, postures pénibles, etc.).
M. Chevée se réjouit aussi de la revalorisation du minimum de pension à hauteur de 85 % du smic net (soit près de 1 200 euros), pour les personnes ayant accompli une carrière complète en gagnant l’équivalent du salaire minimum. Une telle mesure est favorable – entre autres – aux commerçants et aux artisans, qui sont nombreux à adhérer à la CPME.
D’une façon générale, les annonces « répondent aux demandes que nous avions formulées », enchaîne Pierre Burban. Le secrétaire général de l’Union des entreprises de proximité (U2P) salue le « maintien et l’amélioration » du système des carrières longues, qui offre la possibilité de partir à la retraite bien avant l’âge légal pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans – les règles étant plus généreuses pour les personnes entrées sur le marché du travail avant d’être majeures. Autre arbitrage dont l’U2P se félicite : la réduction de l’assiette de cotisations des indépendants, qui les rapproche ainsi des salariés.
Les principales réserves du patronat concernent surtout le volet sur l’emploi d’une main-d’œuvre vieillissante. Un mécanisme focalise l’attention : l’« index senior », qui a pour but d’« objectiver la place » des travailleurs âgés dans les entreprises et de « valoriser les bonnes pratiques ». La réforme prévoit une obligation de publier les résultats de ce baromètre pour les entreprises d’au moins trois cents personnes, ce qui constitue une « victoire » pour la CPME, car le gouvernement avait, auparavant, envisagé une cible beaucoup plus large (toutes les sociétés d’au moins cinquante salariés).
« Pas une bonne nouvelle »
Si ce rétrécissement du périmètre constitue un motif de satisfaction pour les mouvements d’employeurs, le dispositif continue de poser question. « Nous restons opposés au principe de cet index », indique M. Roux de Bézieux. Il peut certes être utile de mesurer l’évolution des embauches et de l’emploi des seniors, admet le leader du Medef ajoute : « Mais nous craignons que l’outil proposé par le gouvernement soit durci pendant les débats au Parlement et impose de lourdes contraintes aux entreprises. »« Qui plus est, le fait qu’il instaure des sanctions financières ne constitue pas une bonne nouvelle »,ajoute-t-il. Délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution, qui regroupe la plupart des grandes enseignes du secteur, Jacques Creyssel s’« interroge sur le sens qu’un tel dispositif peut avoir, notamment pour des professions comme hôtesses de caisse où les jeunes sont très nombreux ».
L’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) regrette, pour sa part, que « le projet gouvernemental ne tienne pas compte du coût financier que représente, pour les entreprises, l’allongement de la durée de vie au travail ». Cette organisation fait ainsi allusion au gonflement de la masse salariale, lié au maintien en activité de salariés qui sont souvent bien payés du fait de leur niveau d’expérience. L’UIMM relève aussi le risque d’augmentation des prestations à verser aux collaborateurs basculant en invalidité ou en inaptitude – un problème qui tend à s’accentuer au fil de l’âge et qui risque de peser sur les cotisations de protection sociale complémentaire.
Au-delà du contenu même des mesures, l’U2P comme la CPME redoutent surtout que la mobilisation sociale à venir ne perturbe l’économie, alors que les patrons, à peine remis de la crise liée au Covid-19, doivent faire face à l’inflation et à l’envolée des prix de l’énergie. « Un blocage de longue durée mettrait clairement en danger nos TPE [très petites entreprises] », souligne le vice-président de l’U2P, Jean-Christophe Repon. M. Chevée espère, lui, que le conflit ne viendra pas polluer la période des soldes qui vient de s’ouvrir, « l’une des plus importante de l’année et dont nos commerçants ont besoin de profiter ».