Gregor Link, Dietmar Gaisenkersting WSWS
Jeudi, 09-02-2023 le Syndicat allemand des services publics (Vereinigte Dienstleistungsgewerkschaft, ou Verdi) a appelé à des grèves d’avertissement d’une journée dans les secteurs publics municipaux. Dans les États de Berlin, de Hesse et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, les employés des transports publics, des administrations municipales, des crèches, des hôpitaux et de l’élimination des déchets y ont participé. Vendredi, les employés du Land de Bade-Wurtemberg étaient également en grève.
Ceci est la réponse de Verdi à la marée montante de la colère dans les agences municipales, les institutions et les entreprises dont les budgets ont été réduits radicalement. Dans les négociations collectives en cours pour plus de 2,5 millions d’employés, Verdi ne demande que des augmentations de salaire et de traitement de 10,5 pour cent, avec un minimum de 500 euros par mois pour un contrat de 12 mois. Les indemnités pour les stagiaires doivent être augmentées de 200 euros par mois.
Lors du premier cycle de négociations, les employeurs publics, représentés par la maire de Gelsenkirchen, Karin Welge (Parti social-démocrate, SPD), et la ministre fédérale de l’Intérieur, Nancy Faeser (également SPD), ont brusquement rejeté ces demandes. Elles ne veulent aucune augmentation de salaire, et ce alors que les prix de l’alimentation et de l’énergie ont augmenté de 20 à 30 pour cent.
À Berlin, plus de 2.000 employés se sont rassemblés jeudi matin pour le rassemblement central près de la Chambre des représentants. Il s’agissait principalement des éboueurs du service de nettoyage de la ville (BSR), des infirmières des hôpitaux, Charité et Vivantes, ainsi que des employés de la compagnie des eaux de Berlin. Les employés du BSR ont manifesté en tenue de travail orange, notamment parce que le conseil d’administration du BSR avait voulu leur interdire de faire grève dans cette tenue.
.Pour faire passer cette exigence, face à l’énorme colère des salariés et sans provoquer une mobilisation de masse, Verdi et d’autres syndicats divisent les travailleurs. Ainsi, lundi, Verdi a appelé les postiers à la grève, mardi et mercredi, le syndicat de l’éducation GEW a fait débrayer les enseignants, tandis que jeudi et vendredi, Verdi organise une grève des travailleurs du secteur public.
Sara, Nick et Amélie sont des apprentis de troisième année aux hôpitaux Charité et Vivantes. Ils rejettent le renforcement militaire et les politiques d’austérité de l’Allemagne et réclament de véritables augmentations de salaire. «Je payais 35 euros d’électricité il y a un an, maintenant c’est 110 euros», explique Nick. «Comment est-on censé financer cela avec un salaire de stagiaire? Bien que j’aie la chance de partager un appartement, je suis massivement à découvert.» Sara a déclaré: «Je vis toujours chez moi, mais je soutiens mes parents et je remarque aussi que beaucoup de choses ne sont plus abordables. Entre collègues plus âgés, les sentiments sont encore plus palpables».
Tous trois ont commencé leur formation en octobre 2020, en pleine pandémie de coronavirus. «Des services entiers étaient fermés aux patients infectés par le coronavirus, et de nombreux autres patients ne pouvaient pas être admis», raconte Nick. «C’était difficile de s’intégrer dans les équipes car nous étions de toute façon trop peu nombreux dans les services, et puis il y avait tellement d’absences dues au coronavirus. Par conséquent, nous n’avions pas toujours de supervision. Lorsque nous avons été affectés aux soins de longue durée, nous avons dû superviser des zones de résidence entières par nous-mêmes. On se sent très vite livré à soi-même.»
«L’ensemble de l’apprentissage fonctionne mal, du début à la fin, surtout avec la nouvelle loi sur les professions infirmières (Pflegeberufegesetz)», explique Amélie. «Nous avons une formation généraliste, c’est-à-dire trois formations en une. Mais tout cela est très superficiel. Comment voulez-vous travailler à l’hôpital si vous n’avez jamais préparé une perfusion? La partie pédiatrique ne dure que trois semaines, et ensuite vous pouvez dire que vous êtes infirmière en pédiatrie. Mais en même temps, nous devons travailler dans une maison de retraite pendant une année entière, en faisant tout par nous-mêmes. Cela n’a aucun sens. Lors de ma deuxième année de formation, j’étais responsable de 15 patients à moi seule. Au-delà de cela, il n’y a pas d’accord entre l’école et l’employeur, ce que nous ressentons tous. Lorsque nous avons interrogé les politiques sur la loi à la Chambre des représentants, on nous a répondu en face que nous étions “les cobayes”.»
Julien et Kira sont des apprentis de première année chez Berliner Verkehrsbetriebe (BVG, services de transport) et participent à une grève pour la première fois. «Il y a beaucoup de gens qui ne gagnent pas assez pour vivre», a déclaré Julien. «C’est particulièrement difficile pour ceux qui, comme Kira, doivent subvenir aux besoins de leur famille. Moi, je vis encore chez mes parents, heureusement, mais ma mère n’a pas beaucoup d’argent non plus». Kira a critiqué le fait que des sous-traitants sont utilisés à BVG depuis des années pour réduire massivement les salaires, et a rapporté: «Après avoir déduit le loyer, je n’ai que 170 euros pour le mois».
De nombreux étudiants soutiennent les grèves et ont participé au rassemblement. Tabea, qui étudie l’éducation, a déclaré: «Je suis venue à la grève par solidarité parce que je me sens très préoccupée par les mauvaises conditions de travail et les salaires dans le secteur public et surtout dans les secteurs sociaux. Si ça continue comme ça, il ne restera plus rien.»
«Dix pour cent de salaire en plus, ça paraît bien au début et ça semble faire beaucoup d’argent», a déclaré Michael, qui travaille au BSR. Mais il est méfiant. «Compte tenu de l’inflation, nous ne pouvons pas nous contenter d’une “rencontre au milieu” à 5 pour cent. Si on l’étale ensuite sur plusieurs années, on se retrouve avec 2 à 3 pour cent. Je ne comprends pas pourquoi ce ne serait pas possible d’aller plus loin. Il faudrait se présenter aux négociations avec des demandes deux fois plus élevées.»
Michael était auparavant employé comme intérimaire chez BMW, où il a appris «que les affaires et la politique fonctionnent exactement de la même manière, et cela m’a rebuté». «Cela me met en colère que seules les grandes entreprises soient soutenues par le gouvernement. Pendant la pandémie de coronavirus, c’est apparu clairement que les lois pouvaient être facilement modifiées et annulées si nécessaire. Depuis lors, BWM réalise d’énormes bénéfices, qui sont rapportés fièrement lors des réunions d’entreprise. Mais personne n’est embauché.»
Les travailleurs du secteur public sont dans une position particulièrement forte, selon Michael: «Ça suffirait que l’entreprise de ramassage des ordures arrête de travailler pendant deux semaines pour que nous ayons les 10 pour cent. Je pense que nous devons être conscients de notre pouvoir. Mais beaucoup de ceux qui sont au sommet des syndicats ne cherchent qu’à faire de la lèche aux employeurs pour pouvoir en prendre plus chez eux. Ça craint.»
Michael déplore l’écart qui se creuse entre les riches et les pauvres. «C’est évident qu’ils veulent nous amadouer. Ils peuvent prendre le paiement d’aide à l’énergie et se le mettre où je pense – ces paiements uniques n’amélioreront pas notre sort à l’avenir.»