Avec l’Inde, l’Etat hébreu est la destination privilégiée des élus européens. Trois organisations financent principalement ces visites, qui promeuvent les intérêts israéliens.
« Lorsqu’ils sont invités à se rendre en Israël, les eurodéputés le sont principalement par trois organisations : l’European Leadership Network (Elnet), l’AJC Transatlantic Institute et le B’nai B’rith. Ces lobbys, qui fournissent généralement le vol (en classe éco) et l’hôtel (de luxe) ont en commun de défendre le point de vue israélien au sein de l’UE ».
Qui ne rêverait pas de nuits en hôtels de luxe, avec en bonus un vol en hélicoptère ? Plusieurs députés européens ont pu vivre cette expérience lors d’un voyage payé par des lobbys pro-israéliens. Le Soir a épluché plus de 300 déclarations de voyages des parlementaires européens, à l’invitation d’un tiers, pour comprendre qui les invite. Et deux destinations sortent du lot : l’Inde et Israël. Ces deux pays apparaissent chacun dans 30 déclarations complétées par des élus européens. Ce qui correspond à 117 nuits offertes en Inde et 115 dans l’Etat hébreu. Des chiffres vraisemblablement sous-estimés, car la comptabilité ne s’appuie que sur ceux qui ont déclaré leurs voyages. Le scandale de corruption au Parlement européen a suscité une ruée vers le formulaire de déclaration. Mais il y a fort à parier que tous les « oublis » n’ont pas été régularisés.
Parmi les invités en Israël, on retrouve notamment la présidente du Parlement Roberta Metsola, et deux eurodéputés belges : Assita Kanko (N-VA, ECR) et Tom Vandenkendelaere (CD&V, PPE).
En novembre 2021, l’eurodéputée N-VA, membre de la sous-commission Droits de l’homme, s’est envolée (en classe éco qu’elle a payée sur ses deniers, seul l’hôtel était offert) pour une « visite de travail » à l’invitation du European Leadership Network. « Pendant ces cinq jours, nous avons rencontré beaucoup de monde : des Juifs comme des Arabes, des membres de la Knesset ou des gens de l’armée, des journalistes, des étudiants… », précisait-elle sur son compte Twitter. A notre connaissance, le voyage ne prévoyait pas de rencontres avec des responsables ou des associations palestiniennes actives en Cisjordanie. « Ma vision du conflit israélo-palestinien est basée sur plusieurs aspects et une visite dans un pays n’est qu’un de ces éléments », a réagi Assita Kanko, qui souligne avoir posé « des questions critiques » durant son séjour. Elle précise également que « d’autres ONG sont libres d’organiser des missions également, par exemple en Cisjordanie, mais jamais je n’ai reçu d’invitation de leur part pour cela ».
Sur les onze élus participant au même voyage, seuls cinq l’ont bien déclaré. L’Estonien Andrus Ansip (Renew), le Suédois David Lega (PPE), la Slovène Ljudmila Novak (PPE), la Bulgare Elena Yoncheva (S&D) et les Espagnols Juan Ignacio Zoido (PPE) et Isabel Benjumea (PPE) n’ont pas respecté cette obligation. Lors d’une autre visite en octobre et novembre 2022, au moins quatre eurodéputés de la délégation ont « omis » de déclarer leur voyage, qui incluait une visite à Efrat, une colonie israélienne implantée illégalement en Cisjordanie, ainsi qu’une rencontre avec son maire.
L’hyperactif Tom Vandenkendelaere, membre de la commission Affaires étrangères, s’est rendu en Israël début novembre 2022, à l’invitation de l’American Jewish Committee (AJC). Sur les six jours de visite, le Belge a fait un court arrêt dans la ville palestinienne de Ramallah, pour y rencontrer des Palestiniens. Dans la foulée de son voyage, le 13 novembre, il a dit en séance plénière son soutien à la solution à deux Etats, piquant au passage l’ennemi historique d’Israël, l’Iran. Prochainement, précise-t-il, il rencontrera des responsables palestiniens et de l’UNRWA, la branche de l’ONU dédiée aux réfugiés palestiniens.
Des vidéos et une musique galvanisante
Lorsqu’ils sont invités à se rendre en Israël, les eurodéputés le sont principalement par trois organisations : l’European Leadership Network (Elnet), l’AJC Transatlantic Institute et le B’nai B’rith. Ces lobbys, qui fournissent généralement le vol (en classe éco) et l’hôtel (de luxe) ont en commun de défendre le point de vue israélien au sein de l’UE.
Elnet est « dédiée à renforcer les relations entre l’Europe et Israël, sur la base de valeurs démocratiques et d’intérêts stratégiques partagés ». Fondée en 2016, la branche européenne de cette organisation communique abondamment sur les très réguliers voyages proposés à des responsables européens. Sur leur site internet, une vidéo galvanise les vertus pédagogiques de ces voyages. « Si vous parvenez à résoudre les problèmes à Jérusalem, vous avez votre itinéraire pour résoudre les problèmes pour tout Israël », promet un des intervenants. L’eurodéputée belge Assita Kanko (N-VA, ECR) dit dans cette vidéo avoir « été choquée de voir quelle patience les gens peuvent mettre dans la haine », lors d’une visite d’installations du Hezbollah au nord d’Israël.
L’AJC Transatlantic Institute est la branche bruxelloise de l’hyperactif lobby américain pro-israélien American Jewish Committee. Dans son viseur : la défense, l’Otan et la menace iranienne. Mais aussi une volonté « d’améliorer le bien-être du peuple juif et d’Israël, et de faire progresser les droits de l’homme et les valeurs démocratiques aux Etats-Unis, en Europe et dans le monde entier », assure son site internet. Le Transatlantic Institute « s’adresse aux décideurs de l’ensemble du spectre politique de toutes les institutions et services européens concernés, ainsi qu’à l’Otan et aux missions diplomatiques auprès de l’UE, aux groupes de réflexion, aux journalistes et à d’autres acteurs de la société civile ». Vingt eurodéputés ont participé à ses voyages, et seuls neuf les ont déclarés (AJC n’a pas voulu transmettre les noms des élus participants).
« Soutenir le gouvernement israélien »
De son côté, le B’nai B’rith est une organisation internationale historique qui promeut, notamment, « la culture juive », le « dialogue interculturel et interreligieux » et « (combat) l’antisémitisme ». Grâce à des rencontres et conférences, la branche Europe « promeut » les intérêts de l’Etat d’Israël auprès des institutions européennes. Selon l’organisation, « pour les Juifs du monde entier, l’Etat d’Israël est un endroit spécial. Le bien-être du pays est central dans la vie juive. Comme tout autre Etat légitime, Israël a le droit de se défendre contre tout acte d’agression qui menace ses citoyens », développe son site internet.
Ces trois organisations sont-elles en contact direct avec l’Etat israélien ? Ni la représentation israélienne à l’UE, ni Elnet n’ont donné suite à nos questions. AJC Transatlantic Institute et le B’nai B’rith ont indiqué être indépendants. « Qu’elles soient ou non financées ou organisées par l’Etat israélien n’est que secondaire, selon moi », juge Martin Konecny, directeur du groupe de réflexion European Middle East Project. « Elles ont leur propre motivation pour soutenir le gouvernement israélien, peu importe ce qu’il fait. Elles sont guidées par leur sentiment nationaliste. » Celui qui suit de près la politique européenne à l’égard d’Israël n’entend pas « reprocher à des eurodéputés de participer à ces visites s’ils les suivent avec un regard critique et s’ils vont aussi voir la situation des Palestiniens et écouter les organisations des droits humains ».