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LABORATOIRES : Le PDG de Moderna, millionaire grâce à l’argent public : merci Patron !

Stéphane Bancel, patron du laboratoire pharmaceutique Moderna, s’est vu décerné il y a quelques semaines le prix de Stratège de l’année par Les Échos, et a fait son entrée dans le club des milliardaires. Une réussite fulgurante doublée d’une folle ambition, mais à quel prix ?

Michèle Rivasi

Députée européenne Europe Ecologie Les Verts

Monsieur Bancel, je tiens à vous adresser cette lettre ouverte en réaction à l’interview que vous avez donnée à Patrick Cohen au micro d’Europe 1 diffusée en direct, le 9 juin 2021 et ce, d’autant plus que vous a été décerné ce 15 novembre dernier le prix de Stratège de l’année par le quotidien Les Échos. Députée européenne et membre des Commissions de Santé publique/ Environnement et du Contrôle budgétaire du Parlement européen, il est de mon devoir de réagir à vos déclarations afin de rétablir la vérité et d’apporter quelques précisions à cette réussite.

Partie I – La prouesse de Moderna… grâce à la recherche et au financement public américain

Tout d’abord, vous évoquez « la prouesse scientifique et technologique » du laboratoire Moderna qui, avec une rapidité étonnante, a développé son vaccin anti covid-19 et l’a produit une échelle massive. Vous évoquez une « prouesse scientifique et technologique » et une rapidité étonnante avec lesquelles le vaccin anti Covid-19 du laboratoire Moderna a été non seulement développé mais aussi produit à l’échelle massive. Il est vrai qu’avant la pandémie que nous connaissons actuellement, le laboratoire Moderna Thérapeutiques était une petite start-up, créée en 2010 qui n’avait jamais développé ni commercialisé un vaccin. Il semble donc incroyable qu’une entreprise totalement novice dans le domaine puisse arriver à mettre au point aussi rapidement un vaccin efficace contre un virus inconnu, grâce à une nouvelle technologie – ARN messager (ARNm) – et ainsi se transformer en une multinationale fabriquant des centaines de millions de doses par an.

Ce que vous ne dites pas Monsieur Bancel, c’est que, pour ce faire, votre entreprise a bénéficié des résultats de recherche publique et d’énormes investissements du gouvernement américain.

Tout comme votre concurrent Pfizer/BioNTech, Moderna a bénéficié de sous-licences pour les brevets liés à l’ARNm provenant de l’Université de Pennsylvanie. En d’autres termes, la technologie de base – ARNm – qu’utilisent aujourd’hui Moderna et Pfizer/BioNTech, a été développée dans un institut public grâce à un financement public. Par ailleurs, les scientifiques des Instituts américains de la santé (National Institutes of Health), institutions gouvernementales américaines, ont co-développé le vaccin anti Covid-19 de Moderna mRNA-1273. Ils ont aussi travaillé sur le brevet nécessaire à la fabrication de ce vaccin, codétenu par le gouvernement américain.

Selon les sources officielles américaines, au début de l’année 2020, Moderna a reçu 4,1 milliards de dollars américains pour le développement, les essais cliniques et la fabrication de son vaccin contre le Covid-19 dont environ un milliard de dollars a été accordé par la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA). Aujourd’hui, le gouvernement américain mentionne 10 milliards de dollars d’investissements publics pour Moderna depuis le début de la pandémie. Cela concerne le R&D mais aussi et surtout l’énorme augmentation de capacité de fabrication de l’entreprise qui est désormais capable de produire des centaines de millions de doses de vaccins par mois.

Malgré le fait que ses contrats avec le gouvernement américain l’obligent, Moderna n’a jamais publié jusqu’à présent la part des investissements publics et privés dans le développement de son vaccin. Mais la société mentionne bien sur son site les investissements privés dont elle a bénéficié depuis sa création en 2010 : environ 1,5 milliard de dollars d’investissements directs en actions par les actionnaires et 680 millions de dollars supplémentaires d’investissements dans le cadre de collaborations avec d’autres sociétés.

On ne sait pas si une part de ces 2,2 milliards de dollars d’investissements privés a ensuite été consacrée à la R&D du vaccin anti Covid-19 de l’entreprise mais vous conviendrez que ces investissements privés (d’avant la crise sanitaire) ne font aucun poids face aux 10 milliards de dollars d’investissements publics dont vous avez bénéficié.

Ainsi, Monsieur Bancel, que les choses soient claires : le vaccin contre le Covid-19 de Moderna mRNA-1273 a été entièrement développé grâce à l’argent des citoyens américains. C’est d’ailleurs pour cela que l’association américaine de défense des consommateurs « Public Citizen » réclame que le mRNA-1273 soit appelé le « vaccin du peuple » (« peuple’s vaccines »).

Coût réel de production, bénéfices et évitement fiscal

Moderna commercialise un seul et unique produit – son vaccin contre le coronavirus, connu sous le nom d’ARNm-1273. Selon vos déclarations, l’année 2021 devrait devenir la première année rentable pour la société, en raison des ventes massives de vaccins qu’elle prévoit de réaliser. Mais ce que vous ne dites pas, Monsieur Bancel, c’est que la pandémie a fait beaucoup plus que la rentabilité. Selon la récente enquête d’Amnesty International, Moderna gagnerait plus de 47 milliards de dollars d’ici fin 2022. Ces ventes massives de vaccins vous ont rendu également milliardaire personnellement avec quatre autres actionnaires de votre entreprise.

Alors, comment est-ce possible qu’en moins d’un an vous ayez réalisé une telle prouesse financière ?

Monsieur Bancel, vous n’évoquez jamais publiquement les techniques de production des vaccins à ARNm, mais d’après différents chercheurs d’organisations civiles et d’instituts publics, le coût d’une dose de vaccin anti Covid-19 de Moderna mRNA-1273 a été estimé à 2,85 dollars, soit 2,47 euros. Cette même dose est vendue 15 $aux USA et 22,50 $ (19 euros) aux pays de l’Union européenne. Les prix négociés avec d’autres gouvernements de pays développés n’ont pas été rendus publics. D’après la fuite des contrats européens, le prix aurait encore augmenté pour le second contrat que l’Union européenne a signé avec Moderna. Cette année, les contribuables européens paieront 21,5 euros pour une dose de votre vaccin.

Moderna dans les paradis fiscaux

Une enquête récente de l’ONG néerlandaise Somo a révélé en juillet dernier que Moderna ne paie pas d’impôt sur ses revenus dans les pays européens et les états américains où elle mène ses activités de production. Et ceci, sous l’œil complaisant des gouvernements américains et européens.

Bien que votre société soit effectivement gérée à partir de son siège social situé dans le Massachusetts aux USA, légalement parlant, ce siège social n’est qu’une succursale de la société mère domiciliée dans l’État du Delaware, paradis fiscal mondial notoire connu pour ses niveaux d’imposition extrêmement bas voire même nuls sur les revenus générés par les brevets déposés à l’intérieur de ses frontières. Sur les quelques 780 brevets que Moderna détient dans le Delaware, 595 enregistrements mentionnent la technologie d’ARNm qui constitue la base du vaccin contre le coronavirus de Moderna. En pratique, si l’un de ces brevets est utilisé par des filiales de Moderna ou des tiers dans le monde, l’organisation respective utilisant la technologie brevetée devra indemniser son propriétaire, Moderna TX Inc. dans le Delaware.

En Europe, l’exécutif européen et les 27 États membres paient Moderna en Suisse, sur le compte bancaire de Moderna Switzerland GmbH dans le canton de Bâle – autre paradis fiscal. Il est important de souligner que vous avez créé cette filiale suisse de votre société en juin 2020, quelques mois avant de conclure votre contrat avec la Commission européenne.

Dans une logique de justice fiscale, les bénéfices de Moderna devraient s’accumuler là où se déroule sa véritable activité économique pour développer, produire et commercialiser ses vaccins. Or, les filiales de Moderna ou de ses contractants ne fabriquent pas de vaccin dans le canton de Bâle. Pour les experts, nous avons affaire à un évitement fiscal réussi.

Dans les chiffres, cela se traduit par un total d’environ 9,45 milliards d’euros de revenus de Moderna comptabilisés en Suisse et payés par le contribuable européen.
Monsieur Bancel, ce calcul est possible grâce à la fuite des contrats que l’Union européenne a conclus avec votre entreprise. En revanche, nous ne pouvons pas en dire autant pour vos bénéfices globaux car l’État de Delaware vous autorise à ne pas publier vos comptes annuels.

Enfin, ajoutons à tout ceci, Monsieur Bancel, que l’injustice économique est évidente lorsque les contribuables financent le développement d’un produit mais qu’ils sont ensuite obligés d’acheter ce même produit avec une marge importante. Le fait que ces bénéfices finissent dans des paradis fiscaux et que la pandémie actuelle a fait naître 9 milliardaires, dont 5 sont des actionnaires de votre société, aggrave cette injustice.

Partie II – La coopération internationale pour l’accès mondial selon Moderna

Dans votre interview de juin dernier, vous expliquez être opposé à la levée des brevets sur les vaccins et les technologies Covid-19, en affirmant que cela « n’ajouterait pas une seule dose de vaccin ARNm en 2021 et en 2022 pour aider la planète ». Votre argument ? Cette technologie nouvelle serait trop difficile à transférer car les autres entreprises manqueraient de machines et de savoir-faire. Nos gouvernements et la Commission européenne martèlent sans cesse des propos similaires pour justifier leur opposition à la levée temporaire de brevets liés aux technologies Covid-19 à l’OMC, demandée il y a un an par plus de 100 pays et l’ONU.

Mais les experts en santé publique occidentaux (y compris ceux de l’OMS) et des pays en développement clament depuis des mois, sans succès, que l’inverse est tout à fait possible. Le quotidien The New York Times vient d’ailleurs de réaliser une enquête approfondie à travers le monde entier et a identifié au moins 10 entreprises qui pourraient produire les vaccins à

ARNm dans 6 pays différents en l’espace de six à dix-huit mois. Les critères de sélection étant le capital humain, les usines existantes et le système réglementaire dans le domaine de fabrication des médicaments.

Certaines de ces entreprises candidates produisent déjà leurs propres vaccins à ARNm : Gennova Biopharmaceuticals (Inde) et BioNet-Asia (Thaïlande) sont en train de tester leurs vaccins en phase 2 et 3. Et, contrairement au vaccin de Moderna, leurs candidats vaccins peuvent être stockés, si autorisés, dans les frigos médicaux standards.

Les autres sociétés sélectionnées (indiennes, brésiliennes, sud-africaines etc) voudraient obtenir les licences de votre compagnie ou de Pfizer/BioNTech et assurent qu’elles pourront produire un milliard de doses de vaccins ARNm dans un an avec seulement 100 millions de dollars d’investissement. C’est le cas d’Aspen Pharmacare, en Afrique du Sud.

Les experts de l’OMS nous expliquent que produire un vaccin à ARNm est un processus basé sur les enzymes, et diffère de la technique dite traditionnelle de production de vaccin. La production d’ARNm ressemble donc, pour beaucoup, à la fabrication des médicaments. Ces entreprises pourraient rapidement apprendre et maîtriser la technique si Moderna voulait leur accorder une licence et leur transférer par la suite son savoir-faire, comme elle l’a fait avec ses contractants en Europe – en leur envoyant son fameux « kit modulaire ». En effet, cela a permis à vos sous-traitants de démarrer rapidement la production sur le sol européen.

Malgré tout cela, vous, Monsieur Bancel et votre concurrent Pfizer, refusez tout transfert de technologies (même les licences volontaires) en comptant sur l’Allemagne et d’autres pays riches pour continuer à bloquer la levée des brevets à l’OMC.

Fatiguée de dénoncer l’inégalité vaccinale Nord-Sud, les millions de morts dans les pays pauvres où moins de 2% de la population est vaccinée et la catastrophe morale qui en découle, l’OMS a établi un pôle de transfert de technologie ARNm en Afrique du Sud et a commencé à financer l’entreprise sud-africaine Afrigen qui essaie de reconstituer la formule de votre vaccin. Vous le savez déjà, cela s’appelle de « l’ingénierie inverse » : les chercheurs visent à créer un « sosie » du vaccin Moderna de deuxième génération, plus adapté aux pays à faible revenu, y compris au niveau du prix et des conditions de conservation. L’objectif est de rendre autonome le continent africain et le projet prévoit la formation d’autres pays africains à cette nouvelle technologie de fabrication de vaccins.

L’OMS négocie d’ailleurs avec vous, Monsieur Bancel, pour que vous accordiez la licence. Cela accélérerait le processus, mais au lieu de donner votre accord, vous avez annoncé que vous alliez construire votre propre usine d’ARNm en Afrique (sans préciser où ni quand) qui pourrait produire 500 millions de doses de vaccin par an. Mais cette annonce n’a trompé personne. La construction d’une telle usine prendrait facilement 4 ou 5 ans et la pandémie n’attendra pas autant. À ce jour, seulement 5% des Africains sont vaccinés et la pandémie a déjà fait des millions de morts sur le continent. Faire attendre des années pour que l’Afrique ait des vaccins en grand nombre est catastrophique du point de vue sanitaire, mais aussi et surtout sur le plan humain et moral car des millions de vies sont en jeu.

« L’aspect financier n’est pas un frein pour l’accès des vaccins à n’importe quel pays de la planète ». Telle est votre affirmation, Monsieur Bancel au micro de Monsieur Cohen. Alors, comment expliquer que seulement 5% des 6,6 milliards de doses de vaccins produites au total aient été livrées à Covax et que 98% des populations des pays pauvres n’aient toujours pas accès à la vaccination ?

Comment expliquez-vous, Monsieur Bancel, que les responsables de Covax n’arrivent toujours pas à vous faire honorer vos promesses de livrer les doses promises à ce mécanisme de distribution équitable ?

Avec le laboratoire J&J, vous êtes le seul laboratoire au monde qui n’a toujours pas livré la moindre dose à Covax. Votre compagnie avait pourtant promis de livrer 34 millions de doses avant la fin de 2021.

Moderna préfère livrer d’abord les pays riches et déclare ouvertement qu’elle n’honorera pas la majorité des commandes de Covax avant la seconde moitié de 2022. En même temps, elle devrait gagner plus de 47 milliards de dollars d’ici la fin 2022.
Il a fallu une pression énorme du gouvernement américain et de la société civile mondiale pour que vous acceptiez, il y a quelques semaines, de vendre 110 millions de doses de votre vaccin à l’Union africaine mais là encore, seulement 15 millions de ces doses promises devraient arriver dans les pays africains pour avril 2022.

Mainmise sur les donations

Selon les récentes révélations de la presse internationale, votre contrat avec le gouvernement de Trump vous a accordé non seulement le monopole sur la technologie ARNm utilisée, mais aussi une clause selon laquelle aucune dose livrée aux Etats-Unis ne pouvait être donnée aux autres pays. L’Union européenne vous a aussi concédé ce droit de contrôle de ses donations éventuelles. Cela vous a permis de négocier des contrats bilatéraux et des prix selon vos conditions avec les 26 pays différents.

Depuis, l’administration Biden a réussi à modifier le contrat avec vous et a pu faire la donation de 52 millions de doses en surplus de votre vaccin à Covax. Mais vous résistez encore et toujours à sa pression depuis plusieurs mois et vous refusez de vendre votre vaccin à prix coutant, arguant que cela n’est pas une solution « durable » pour votre compagnie.

Vous avez sûrement oublié qu’en janvier 2020 vous avez bénéficié d’une subvention de 900.000 dollars de Cepi (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations) qui co-gère Covax avec Gavi. Selon vos déclarations publiques du début 2020, ce financement de Cepi, réalisé très tôt, a été crucial pour le rapide développement de votre vaccin. En recevant cet investissement de Cepi, Moderna a surtout accepté « les principes d’accès équitable » qui stipulent que les vaccins doivent être distribués en fonction des besoins et à des prix abordables pour les populations à risque, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

En résumé :

Monsieur Bancel, vous avez donc bien utilisé la subvention de Cepi pour développer votre vaccin. Vous avez signé le contrat avec Covax pour livrer 34 millions de doses en 2021 mais vous ne lui en avez toujours pas livré une seule.

De surcroît, vous refusez de partager votre technologie avec l’OMS et les pays en développement et vous bloquez la levée des brevets à l’OMC grâce à certains pays clients de votre vaccin, même si le gouvernement américain y est favorable.

Vous me répondrez certainement que la responsabilité en matière de santé publique incombe aux gouvernements et non aux entreprises privées et que vous utilisez le pouvoir que l’on vous délègue.

Certes, Monsieur Bancel, mais vous avez aussi, en tant qu’entreprise, une responsabilité en matière de droits humains. Vous avez déjà reçu des montants colossaux. Il est encore temps de suspendre vos droits de propriété intellectuelle, partager le savoir-faire et la technologie et aider ainsi l’OMS à former les autres fabricants mondiaux.

Enfin, pour ces chercheurs de l’OMS qui travaillent à créer un « sosie » de vaccin Moderna de deuxième génération, faites ce geste de leur accorder la licence !

Michèle RIVASI, Députée européenne

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Cette entrée a été publiée le 30 décembre 2021 par dans capitalisme, CRISE ECONOMIQUE, CRISE SANITAIRE, CRISE SOCIALE, FRANCE, PATRONAT, PROFITS.
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