L’inspection générale des affaires sociales appelle à lever les « fortes tensions pesant actuellement sur les ressources humaines » à l’hôpital dans les services de soins critiques. Même pour ces gestionnaires capitalistes la situation est impossible et inhumaine !
Par Camille Stromboni Le Monde
Dans les couloirs de l’hôpital Louis-Pasteur, à Colmar, le 2 décembre 2021. LUCAS BARIOULET POUR « LE MONDE »
C’est un rapport très attendu par les acteurs hospitaliers, mais que le ministère de la santé s’est gardé, jusqu’ici, de rendre public. Daté de juillet, ce document de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les services de réanimation, en première ligne depuis deux ans sur le front de l’épidémie de Covid-19, et que Le Monde s’est procuré, ne manquera pas d’avoir un retentissement particulier, alors que l’hôpital est sous le feu de la cinquième vague. Le nombre de patients atteints du Covid-19 dans les services de soins critiques, qui accueillent les malades les plus graves, « devrait dépasser 3 000 très rapidement et atteindre les 4 000 autour des fêtes », a prévenu Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, le 15 décembre.
Au fil des 184 pages du rapport, intitulé « L’offre de soins critiques, réponse au besoin courant et aux situations sanitaires exceptionnelles », les inspecteurs des affaires sociales se prononcent sur une question très sensible depuis le début de la crise sanitaire : la France dispose-t-elle de suffisamment de lits de réanimation ? C’est en effet la pression sur ces lits qui conduit en grande partie aux mesures les plus restrictives prises face au Covid-19.
En février, l’IGAS a ainsi été saisie par le ministère de la santé pour examiner l’offre de soins critiques adultes du pays, et rendre ses conclusions à l’été, appelées à « éclairer les décisions nationales ».
Objectif de 1 000 lits
Dans cet état des lieux très détaillé de la situation, assorti de vingt-sept recommandations, les membres de l’inspection générale répondent prudemment, en deux temps, à la question des capacités. « L’évaluation conduite par la mission conclut que l’accroissement prévisible des besoins de réanimation, lié principalement au vieillissement démographique, n’appelle pas d’augmentation massive du nombre de lits installés », indiquent-ils. Si une augmentation massive n’est pas jugée opportune, quelques paragraphes plus loin, dans la synthèse du rapport, les inspecteurs écrivent que cet accroissement attendu des besoins, « sur la base d’une estimation maximaliste », « pourrait rendre nécessaire la création de 1 000 lits de réanimation supplémentaires d’ici à 2030 ».
Une augmentation capacitaire évoquée avec réserve donc, mais qui devrait être saluée dans les rangs des médecins réanimateurs, qui dénoncent depuis des mois des capacités structurellement insuffisantes.
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Pour remplir cet objectif de 1 000 lits dans la décennie qui vient, l’IGAS met en avant, « en premier lieu », la nécessité de développer des « structures d’aval adaptées à la prise en charge de patients qui connaissent aujourd’hui des séjours prolongés en réanimation », en créant notamment des « services de rééducation post-réanimation ». Ce qui permettra, en économisant des journées en réanimation, d’atteindre pour moitié l’objectif. Pour les 500 autres lits nécessaires, il faudra « privilégier l’ouverture des lits actuellement installés, mais fermés par manque de personnels paramédicaux ». Soit des réouvertures, plus que des créations.
Sur les 5 080 lits de réanimation dont dispose officiellement la France aujourd’hui, environ 10 % sont déjà fermés, confirment les auteurs du rapport. Et c’est sans compter les fermetures supplémentaires intervenues depuis la rentrée, compte tenu du fort absentéisme et de la pénurie d’infirmiers dont souffrent nombre d’établissements de santé – en Ile-de-France, l’agence régionale de santé évoquait, début décembre, 15 % de l’offre de soins critiques fermée faute de personnel.
Un manque de 1 135 postes de médecins
« L’enjeu majeur » est précisément là, selon l’IGAS : il faut « [lever les]fortes tensions pesant actuellement sur les ressources humaines médicales et paramédicales ». Dès 2021, et ce jusqu’en 2030, les inspecteurs estiment nécessaire d’ouvrir « a minima » 40 postes supplémentaires d’internes par an, répartis dans les deux spécialités de médecine intensive et réanimation et d’anesthésie-réanimation. Ce sont 1 135 postes équivalents temps plein de médecins qui manquent, selon l’inspection, entre les postes vacants aujourd’hui et les ratios recommandés par les sociétés savantes nationales et européennes, ainsi que pour réaliser la montée en charge du nombre de lits ouverts.
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Les infirmiers de réanimation, qui appellent depuis des mois à une reconnaissance de leur spécialité, devraient également se sentir entendus. Les inspecteurs avancent la nécessité de « reconnaître financièrement » la spécificité de leur profession, et ce dès début 2022, ainsi que de « systématiser une formation d’adaptation à l’emploi de huit semaines à la prise de fonctions en réanimation », ou encore de réintégrer un « module de réanimation » dans la formation des étudiants en soins infirmiers.
Autre enjeu-clé pour se préparer aux crises futures et aux fluctuations saisonnières d’activité : les inspecteurs appellent à « l’aménagement d’une élasticité maximale des capacités de soins critiques pour faire face aux variations d’activité ». Pour cela, ils envisagent un renforcement du levier des unités de surveillance continue, ces secteurs qui accueillent les malades les moins graves des soins critiques. Le rapport préconise de mieux cadrer ces services, et de les adosser à une réanimation – comme c’est le cas aujourd’hui, mais seulement pour une partie d’entre eux. Ce qui permettra de pousser les mursen temps de crise, sans arrêter pour autant le reste de l’activité de l’hôpital.
Ces conclusions, largement centrées sur les ressources humaines, entrent en résonance avec celles déjà émises, en mars, par la Cour des comptes, qui appelait également à revoir le modèle de financement de cette activité « structurellement déficitaire » pour les hôpitaux. Reste à savoir si le ministère de la santé va retenir certaines mesures, maintenant qu’il dispose de plusieurs expertises conséquentes sur le sujet.